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Guinguettes & Muscadet

La Cabane a ouvert ses portes en juin 2024 au cœur des vignes à Mouzillon.

La Frémoire, la Huchette, Mauves Balnéaire, la Cabane ou encore la Wine Caravane, les guinguettes sont en plein boom dans le vignoble de Nantes et même au cœur des vignes. Dans le cadre de leur développement oenotouristique, plusieurs domaines viticoles se sont lancés dans cette animation estivale avec un double objectif : la diversification et la valorisation de leur production.

« Guinguette : café de banlieue où l’on va boire, manger et danser les jours de fête ». Voilà pour la définition. Autrefois débit de boisson puis bal musette, la guinguette a connu une période de déclin au milieu du 20ème siècle avant de renaître récemment sous forme de lieux éphémères où l’on vient boire et grignoter durant les soirées d’été. Dans le vignoble, c’est cet esprit « guinguette » qui est à l’origine du Homard à La Frémoire en juillet 2017 et dont le concept a peu à peu évolué jusqu’à offrir aujourd’hui une expérience œnologique et gastronomique durant la saison. Depuis, l’offre s’est multipliée dans le vignoble, notamment chez les vignerons, avec des concepts différents mais toujours centrés sur les vins du domaine.

Du bar à vin à la petite restauration
Simplicité et convivialité, sont les maîtres mots de Sébastien Duvallet. Depuis 2018, le vigneron de Vallet installe sa Wine Caravane au milieu des vignes du Clos du Ferré, uniquement les vendredis soir, de fin mai à fin juillet. « On propose les vins du domaine, au verre et à la bouteille, ainsi que des softs avec des saucissons et quelques conserves de produits de la mer. On met un barbecue à disposition et les gens viennent avec leurs grillades. » A La Limouzinière, c’est un concept équivalent que Romain Malidain propose depuis 2019, uniquement les vendredis soir de juin, de 19h à 22h. « On installe des tables à proximité des vignes et on propose une sélection de vins du domaine au verre ou à la bouteille. Il y a un barbecue à disposition et les gens viennent avec leur repas. Depuis le Covid, on fonctionne sur réservation et cela marche bien. » A Mouzillon, le Domaine du Pontreau s’est lui aussi lancé dans l’aventure en 2024. Installée au cœur des vignes, La Cabane est ouverte de juin à septembre, du jeudi soir au dimanche midi. « On propose les vins du domaine, des softs ainsi que des planches de charcuterie et fromage. On organise aussi des animations musicales, soit avec un orchestre, soit un DJ. Et le dimanche matin, c’est huîtres et Muscadet », explique Bernard Paquereau. Autre lieu, autre concept. A Mauves, sur l’ancienne grève le long de la Loire, deux domaines viticoles se partagent la gestion de Mauves Balnéaire, en partenariat avec l’association culturelle Haut & Fort. Ouvert du 1er mai à fin août, du mercredi au dimanche, le lieu propose les vins des domaines Marchais et Morille-Luneau ainsi qu’une offre de restauration assurée par des food-trucks et des concerts le week-end.

Œuvre artistique du Voyage à Nantes, Mauves Balnéaire est géré par trois partenaires dont deux domaines viticoles.

Une vitrine des vins et du domaine
Inauguré en 2015, Mauves Balnéaire est à l’origine une œuvre du Voyage à Nantes conçue par le collectif d’architectes nantais Mit. « L’idée de départ était d’avoir un bar qui accueille les producteurs locaux, notamment des vignerons et des brasseurs. On s’était positionnés sur des dates avec l’ambition de se faire connaître, faire découvrir nos vins et promouvoir l’appellation Muscadet », raconte Violette Marchais. La gestion du site a ensuite évolué jusqu’à être confiée aux deux domaines ainsi qu’à l’association Haut & Fort à la suite d’un appel d’offres. « Les premières années, nous étions présents les lundis et mardis soir, les jours de moindre affluence, mais on a joué le jeu pour s’inscrire dans quelque chose de pérenne. Mauves Balnéaire c’est une vitrine, pour nous, pour nos vins et ceux de la Loire », ajoute Jean-Baptiste Morille. Pour Bernard Paquereau, La Cabane est aussi une vitrine bien que ce n’était pas le projet initial. « On a d’abord décidé de remettre en état cette cabane vigneronne, sans savoir ce qu’on allait en faire, ce jusque début 2024. On s’est dit que ce serait bien d’avoir une petite cave de réception pour vendre nos vins mais c’était un gros budget pour avoir une personne sur place en permanence. On a finalement décidé de faire un bar pour vendre nos vins », explique le vigneron. Mettre en avant les vins du domaine, c’est aussi ce qui a poussé Sébastien Duvallet et Romain Malidain à lancer leurs bars éphémères. « L’idée était d’essayer d’attirer une nouvelle clientèle et de parler de notre métier. On veut rapprocher les gens de la vigne, leur expliquer ce que l’on fait », souligne Romain. Hors de question donc de proposer de la bière même si la demande a souvent été faite par les clients. « Il est arrivé que certains en amènent. Nous avons donc mis un petit écriteau cette année indiquant qu’on ne tolérait pas d’autres boissons alcoolisées sur le site. Il y a de la pédagogie à faire mais les gens comprennent. »

 

Capter un nouveau public
Et les clients alors sont-ils au rendez-vous ? Oui, répondent les vignerons avec de 90 à 100 personnes par soir chez Romain Malidain, entre 70 et 80 chez Sébastien Duvallet. « J’ai des habitués dont certains viennent presque tous les vendredis. On a pas mal de locaux, des gens qui reviennent avec des amis qui sont là pour le week-end. Le bouche-à-oreille fonctionne bien. » A Mauves et Mouzillon aussi le public est majoritairement local et tous les âges sont représentés. La jauge varie entre 150 jusqu’à 300 personnes à Mauves les soirs de concerts. Un public séduit par les différents concepts mais qui ne pousse pas pour autant les portes des domaines le reste de l’année. « On est sur un système de consommation à l’instant T. Les gens sont contents, ils ont passé un bon moment. Certains reviennent même souvent, mais je ne les vois jamais à la cave », observe Romain Malidain. Pour Jean-Baptiste Morille, le phénomène « est difficile à quantifier mais j’ai eu le cas récemment d’un client qui avait gouté l’appellation communale Goulaine à Mauves et qui est venu en acheter au domaine. » Quelle que soit la guinguette, le vin se vend en tout cas davantage à la bouteille qu’au verre. Avec des prix compris entre 3 et 5 € le verre et de 12 à 19 € la bouteille, cette diversification reste intéressante sans pour autant constituer une part importante du chiffre d’affaires. Pour Sébastien Duvallet, « ça reste intéressant parce que je vends plus cher qu’au caveau. C’est une volonté pour ne pas être en concurrence. » Mais pour Violette Marchais, « il ne faut pas tout miser sur ça. Pour nous, le chiffre d’affaires est partagé en deux. S’il n’y avait qu’un seul domaine il serait sans doute plus conséquent mais les charges le seraient aussi. »

La principale contrainte : la météo
Assurer l’exploitation d’un site éphémère à trois permet effectivement de partager les charges mais aussi les missions. « Thibault Silloray de Haut & Fort est chargé de la coordination du site et de la programmation musicale. Le domaine Morille Luneau s’occupe cette année de la partie gestion et réassort. Quant à nous, nous sommes plus sur la partie communication et gestion des achats. Chaque domaine à son propre salarié. Les frais sont partagés ainsi que les recettes en fin de saison », détaille Violette Marchais. Bernard Paquereau a lui aussi embauché deux saisonniers pour gérer La Cabane et vient parfois avec son frère prêter main-forte. Romain Malidain peut quant à lui compter sur la présence d’un de ses associés et un salarié pour mettre en place le bar à vin et assurer le service. « Il faut préparer les vins, les mettre au frais, préparer les verres, penser au groupe électrogène. Ce n’est pas très prenant mais comme tout événement, il faut être bien organisé. » Le rangement s’effectue aussi sans grande difficulté. Le mobilier reste en place d’une soirée à l’autre et des poubelles sont mises à disposition des clients. Finalement pour tous, la seule véritable contrainte, c’est la météo. « Je suis au milieu des vignes, je n’ai pas de solution de repli. L’année dernière, vu les conditions climatiques, je n’ai fait que 4 soirées. Chaque vendredi, on prévient de l’ouverture sur les réseaux sociaux et j’installe un panneau au bord de la route pour indiquer que c’est ouvert », précise Sébastien Duvallet. Pour Bernard Paquereau, la météo pluvieuse de l’été dernier est aussi venue perturber la première année de La Cabane. « Le bilan est plutôt moyen. Tout est en extérieur donc quand il pleut, on n’ouvre pas. Mais cette année on est plutôt contents, on a pas mal de jeunes qui viennent et dégustent les Muscadets. »

A Mouzillon, l’ancienne cabane vigneronne devenue guinguette accueille les clients uniquement en extérieur.

Peu d’obligations pour les domaines
Réglementairement, les obligations liées à l’ouverture d’une guinguette sont liées à l’offre proposée. A Vallet comme à La Limouzinière, les bars à vins étant situés sur le domaine, ils sont considérés comme une extension du caveau et ne nécessitent pas d’autorisation spécifique. A Mouzillon comme à Mauves en revanche, les domaines ont demandé une licence III pour vendre leurs vins. « Nous n’avons pas d’autres réglementation hormis celles liées au site en lui-même. Mauves Balnéaire reste une œuvre d’art et toute modification est soumise à l’autorisation des Voies Navigables de France, au réseau Natura 2000, à Nantes Métropole, au Voyage à Nantes et à la mairie de Mauves-sur-Loire », précise Jean-Baptiste Morille. Avec ses deux partenaires, il aimerait pourtant faire évoluer le site. « On souhaiterait améliorer les infrastructures, les moderniser, mais il faudra attendre un peu même si on a pu cette année ajouter des ombrières pour apporter plus de confort les jours de canicule. »

Une parenthèse vraiment éphémère ?
A Mouzillon, La Cabane trouve peu à peu sa place et son public. Cette 2e année d’exploitation donnera davantage de perspectives à Bernard Paquereau même s’il n’a pas l’œil rivé sur les chiffres. « L’ensemble du projet avec la rénovation a couté 100 000 €. On ne l’amortira jamais et on ne le fait pas pour ça. On a toujours l’envie d’innover. On est là pour se faire plaisir et cela fait aussi du bien à la viticulture. » Sébastien Duvallet compte lui rester sur la même formule. « Au départ j’avais plein d’idées mais il faut du monde pour les mettre en œuvre. La caravane, je pourrais la faire jeudi soir, vendredi soir, le samedi soir… Je pourrais faire des soirées sur réservation avec des grillades, je pourrais remplacer la caravane par un conteneur, arracher de la vigne, faire plus de place mais c’est une autre logistique et je ne veux pas que cela devienne trop commercial. Je veux que ça reste simple et c’est ce que les gens veulent aussi. » Un avis partagé par Romain Malidain. « On ne fait pas d’animations musicales ou autres. J’y ai pensé quelque fois mais je me suis freiné. Cela va nous ajouter du budget sans pour autant nous rapporter. Les gens sont contents comme ça, ils passent une bonne soirée. » Le vigneron des Côtes de Grandlieu n’est d’ailleurs pas sûr de poursuivre l’aventure encore longtemps. « Je sais que ça ne durera pas encore 5 ans. D’une part parce qu’il y a une multiplication des guinguettes mais aussi parce que je ne veux pas entrer dans une routine. Certaines choses doivent rester éphémères. » Ephémères ou non, les guinguettes sont en tout cas plébiscitées par une clientèle de proximité en quête de lieux insolites et conviviaux. De la dégustation avec vue sur les vignes, aux soirées concerts en passant par une restauration simple et traditionnelle, l’offre s’est considérablement développée ces dernières années et cela n’est pas près de s’arrêter.