Effervescence en terre de Muscadet

Incontournables des fêtes de fin d’année, les bulles sont un marché en pleine croissance. Rares sont les domaines à ne pas en avoir dans leur gamme, notamment dans le vignoble de Nantes où les vins effervescents progressent. Que ce soit en méthode traditionnelle, gazéifiée ou ancestrale, à base de melon b., chardonnay ou folle blanche, les bulles nantaises progressent et cherchent même à affirmer leur identité.
A l’approche des fêtes de fin d’année et à l’occasion de ses portes ouvertes, le domaine du Bourgeais à Vertou a fait le choix d’innover. Non pas en proposant une nouvelle cuvée de Muscadet mais en lançant une méthode traditionnelle, la première de l’exploitation dirigée par Clément Albert. « Nous avions déjà un gazéifié 100 % melon b. et nous avions des demandes pour une bulle un peu plus haut de gamme. On est donc partis sur une méthode traditionnelle, 100 % melon b., cultivée en bio, vendangée à la main avec un élevage sur lattes de 18 mois. Même si cela reste une petite production pour le domaine, on sait que c’est un marché porteur. » Dans le vignoble de Nantes, une très large majorité des domaines propose au moins une cuvée effervescente dans leur gamme. D’anecdotique, la production est devenue régulière et grandissante bien qu’il soit difficile d’en mesurer le poids, les bulles étant classées pour les producteurs de Loire-Atlantique dans la catégorie des vins sans indication géographique. Au printemps dernier, une enquête menée auprès des opérateurs par la Fédération des Vins de Nantes a tout de même permis d’en avoir aperçu : 68 domaines y ont répondu – tous producteurs de bulles – pour un volume annuel d’un peu plus de 600 000 bouteilles vendues.
Avantage à la méthode traditionnelle
Cette enquête a également révélé l’antériorité de cette production. 80 % des répondants indiquent faire des vins effervescents depuis plus de 10 ans et 12 % depuis 5 à 10 ans. Si les méthodes traditionnelles et ancestrales sont privilégiées par 90 % des domaines, 30 % d’entre eux proposent une méthode gazéifiée. Côté cépages, le melon b., le chardonnay et la folle blanche sont les plus souvent utilisés dans les assemblages. A l’inverse, le pinot noir, le grolleau, le cabernet franc ou encore le melon rouge se font plus rares. A La Haye-Fouassière, le domaine Landron a lui commencé par une méthode traditionnelle 100 % folle blanche il y a 30 ans, avant d’évoluer vers un assemblage dans les années 2000. « L’idée de départ était de diversifier la production de folle blanche en dehors du Gros Plant. Puis mon père a planté du pinot noir et lancé une méthode traditionnelle avec un assemblage folle blanche, pinot noir et chardonnay, élevée 2 ans sur lattes et non dosée », explique Hélène Landron. Le domaine de l’Epinay à Clisson a lui opté pour plusieurs cépages et plusieurs assemblages, au point de proposer aujourd’hui 6 cuvées de bulles. « La gamme s’est élargie au fur et à mesure. Au début, il y a eu la méthode traditionnelle en blanc puis rosé, puis les méthodes ancestrales il y a 10 ans, en blanc et rosé. On a aussi développé une méthode trad’ plus haut de gamme, avec 3 ans d’élevage sur lattes puis un Pét Nat (pétillant naturel). En cépages on retrouve du chardonnay, de la folle blanche, du pinot noir, du gamay, du cabernet, de l’abouriou ou encore du muscat petits grains », détaille Sylvain Paquereau.

Les cavistes proposent de plus en plus de cuvées d’effervescents produites dans le Nantais.
Une valorisation de 7 à 18 € la bouteille
Souvent destinée à une clientèle particulière, ces bulles commencent à être de plus présentes chez les cavistes, en restauration mais aussi à l’export. « La demande est grandissante et depuis une quinzaine d’années les ventes ont vraiment augmenté vers les Etats-Unis et l’Italie. Aujourd’hui 18 % des surfaces du domaine, soit 7 ha, sont dédiés à la production d’effervescents », précise Hélène Landron. « On vend beaucoup aux particuliers mais aussi aux cavistes et grossistes. On produit environ 300 hl chaque année. C’est un volume important et un segment que l’on travaille très en amont, à la vigne et à la cave. Autrefois, les vignerons pouvaient faire de la bulle par défaut, aujourd’hui il n’y a plus de hasard », souligne Sylvain Paquereau. Et les prix dans tout ça ? « On valorise entre 7,50 et 10,90 € la bouteille », indique Sylvain Paquereau. Le domaine Landron vend lui sa méthode traditionnelle à 18 €. Elle est à 12 € pour le domaine du Bourgeais tandis que la méthode gazeifiée est vendue 6,30 €. Selon l’enquête menée par la Fédération des Vins de Nantes en mai dernier, le prix moyen à la bouteille se situe à 9,60 €, toutes méthodes confondues. Une valorisation intéressante pour les domaines même si la conception de ces cuvées à un coût, le tirage, remuage, dégorgement ou stockage n’étant souvent pas réalisés au domaine et confiés à un prestataire.

Depuis 2019, la Fédération des Vins de Nantes et l’IFV travaillent sur un projet de bulles nantaises.
Le souhait d’une identité commune
Dans ce marché porteur, grandissant et déjà bien établi, la création d’une identité commune « bulles nantaises » a-t-elle son intérêt ? « Pas forcément », répondent les domaines interrogés qui ont déjà leurs marchés et circuits de distribution. Pourtant, un projet collectif a été lancé en 2019, à l’origine pour réorienter une partie des volumes de melon. Mais depuis, la donne a changé, les aléas climatiques et la baisse des surfaces ayant modifié l’équation. « Le projet initial n’est plus d’actualité mais n’a pas été vain. Les essais menés en cuves closes avec l’IFV nous ont permis de voir que l’on pouvait faire de belles choses avec du melon b. et en assemblage avec des cépages comme le melon rouge, le pinot noir berligou ou le chardonnay », indique Christophe Vilain. Pour le président de la Fédération des Vins de Nantes, les vignerons nantais ont « tout intérêt à disposer d’une identité commune. Une bulle en IGP permettrait par exemple aux domaines d’avoir leur nom sur leurs étiquettes. Nous pourrions aussi bénéficier d’une communication commune autour de ces bulles, ce qui n’est pas possible aujourd’hui », poursuit Christophe Vilain.

Les essais menés par la Fédération viticole et l’IFV se sont déroulés en cuve close à la Sicarex.
Marque propre, IGP ou Crémant ?
Plusieurs pistes sont donc actuellement à l’étude par la Fédération des Vins de Nantes. Si une marque « bulle nantaise » n’est pas écartée, le projet d’une IGP bulles est travaillé depuis plusieurs mois avec le Syndicat IGP Val de Loire. La réflexion est toujours en cours tout comme celle concernant le Crémant de Loire. Le vignoble nantais souhaite une ouverture de l’aire de production, ce qui n’est pour l’heure pas d’actualité du côté de l’AOC Crémant de Loire. « Dans les années 80, les vignerons nantais n’ont pas souhaité rejoindre cette AOC. Aujourd’hui, le marché du vin est en mouvement permanent et est confronté à une baisse de la consommation. Les vins blancs mais aussi les bulles restent cependant plébiscités et il serait dommage de ne pas s’intéresser à ce marché. Les surfaces plantées en chenin sont très modestes dans le nantais, les volumes produits resteraient donc limités », avance Frédéric Macé. Le directeur de la Fédération des Vins de Nantes met également en avant la « Loire des hommes et des produits qui fédère les vignerons de Nantes à Blois. Avec ces projets, la volonté est de s’inscrire dans le plan professionnel ligérien. » Les prochains mois devraient donc pétiller de projets. « Cela va bouger en 2026 », confirme Christophe Vilain.