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Portes ouvertes : quand les vignerons créent l’événement

Depuis plus de 20 ans, la famille Lieubeau associe vins et gastronomie à l’occasion de ses portes ouvertes.

Les vendanges sont terminées, l’automne est arrivé et avec lui la saison des portes ouvertes. Si ces journées grand public restent incontournables, elles deviennent de plus en plus des événements à part entière. Du marché de producteurs au rendez-vous gastronomique, les vignerons innovent pour conquérir de nouveaux clients.

« Tous les ans à la mi-mars, j’invitais mes clients à découvrir le nouveau millésime. Cela permettait d’échanger, plus que le reste de l’année où ils n’ont pas toujours le temps de discuter. Cela marchait bien. On accueillait 5 à 600 personnes sur deux jours. Mais j’avais du mal à élargir la clientèle. » Pour Cyrille Becavin, ce constat a été le point de départ d’une nouvelle organisation. Depuis une vingtaine d’années, le vigneron de Carquefou organise deux fois par an, en mars et en novembre, un marché des vins et de la gastronomie réunissant une trentaine de producteurs. Avec un objectif principal : attirer une clientèle autre que la sienne. « Les producteurs présents amènent leurs propres clients. Désormais nous attirons 1 000 à 1 500 personnes au printemps et de 3 à 5 000 lors du marché de Noël. »

Tous les ans, cinq chefs de la région nantaises participent aux Sommelières à Chateau-Thébaud.

Vins et gastronomie, la bonne association
A Château-Thébaud, la Famille Lieubeau a elle aussi abandonné la classique dégustation à la cave. En 1995, elle a fait le choix d’associer ses vins à la gastronomie « pour développer la clientèle particulière au Domaine » explique Chantal Lieubeau. « En discutant avec un étudiant en école de cuisine, je me suis dit que l’on pourrait lier la cuisine à nos vins. L’idée était de montrer que le Muscadet n’accompagnait pas seulement les fruits de mer mais allait aussi très bien avec une viande blanche, du fromage ou un dessert. » Le Domaine propose alors à ses clients de déguster des bouchées cuisinées en accords avec ses vins. Une organisation « faite-maison », qui s’est depuis professionnalisée et qui porte aujourd’hui un nom : « Les Sommelières ». « Nous invitons cinq chefs nantais à concocter des recettes sur nos vins. Leurs plats sont servis aux participants qui sont assis, à table, et auxquels nous présentons les vins en accords. Nous faisons office de sommeliers. » De 100 personnes il y a 20 ans, le Domaine accueille aujourd’hui 1 200 convives le dernier week-end de novembre. « Cela monte en puissance, les gens invitent leurs amis. Ils viennent même des départements voisins et en profitent pour passer une nuit ou le week-end dans la région. »

L’art s’invite à la cave
Si Chantal Lieubeau et Cyrille Becavin ont opté pour la gastronomie, certains ont pris une autre direction. A Bouaye, le Domaine du Haut-Bourg a ainsi choisi l’art comme thématique de portes ouvertes. « La cave étant située en plein bourg nous n’avions pas la possibilité de faire une visite des vignes » indique Nicolas Choblet. « Nous ne voulions pas non plus faire une porte ouverte classique. Nous avons donc fait appel à des artistes locaux pour créer un petit événement culturel. »

Pour ses portes ouvertes, le Domaine du Haut-Bourg à Bouaye invite l’art au cœur de son chai.

Baptisé « L’Art Chai », ce rendez-vous est organisé tous les deux ans, le dernier week-end de novembre, et mobilise les associations locales. « L’école de musique vient jouer pendant le week-end. Les enfants des écoles viennent aussi visiter la cave, souvent un jour avant. Ils en parlent ainsi à leurs parents et ils reviennent en famille. » Les toiles, sculptures et autres créations exposées dans le chai attirent 600 visiteurs sur le week-end. Une fréquentation suffisante pour Hervé Choblet. « Nous sommes limités en termes d’infrastructures. Au-delà de 1 000 personnes cela serait compliqué. Nous voulons que les gens soient bien accueillis ».

« Une organisation assez lourde »
Pour accueillir le public dans les meilleures conditions, ces portes ouvertes se préparent bien en amont. Début septembre pour les Sommelières de la Famille Lieubeau, soit trois mois avant l’événement. « Nous rencontrons les chefs, nous élaborons avec eux les recettes en accords avec nos vins » précise Marie Lieubeau. «Nous ouvrons les réservations début octobre. Il faut ensuite préparer la cave. C’est une organisation assez lourde, les locaux doivent s’y prêter et, en ce qui nous concerne, être équipés pour réchauffer et dresser les plats. »
Cyrille Becavin a lui déjà la tête aux fêtes de fin d’année en plein été. « Les inscriptions pour le marché de Noël débutent au mois de juin. Les producteurs le savent, ce sont les mêmes qui reviennent d’une année sur l’autre. Mais tous les ans j’ai trois à quatre nouvelles demandes, que je ne peux satisfaire faute de place. »

Le Domaine de Port-Jean à Carquefou accueille les mêmes producteurs d’une année sur l’autre.

Savoir-faire et faire-savoir
Pour promouvoir leurs événements, les domaines viticoles misent sur la publicité. 20 000 tracts et des milliers de mails sont envoyés par le Domaine du Haut-Bourg. Cyrille Becavin édite pour sa part 30 000 flyers, distribués par un opérateur privé dans les boîtes aux lettres de Sainte-Luce-sur-Loire, Thouaré-sur-Loire, Sucé-sur-Erdre, La Chapelle-sur-Erdre, Saint-Joseph de Porterie et Orvault. « Je ne le fais pas sur Carquefou où six banderoles sont installées le long des routes. J’ai également un article dans le journal municipal et dans la presse locale. » Chaque année, il consacre 3 500 € à cette publicité. Un coût important financé en partie par la participation des exposants à son marché gourmand. « Dès le départ j’ai fait le choix de demander une participation aux producteurs. Comme pour un salon, ils payent entre 150 à 200 € l’emplacement. L’organisation demande beaucoup d’investissements entre l’installation du chapiteau, le chauffage, etc. » Cela ne couvre cependant pas tous les frais engagés. 1 500 € restent à la charge du vigneron à chaque édition.
A Château-Thébaud, la Famille Lieubeau finance à 100 % l’organisation des Sommelières. Décoration, restauration, édition d’un guide de recettes à 3 000 exemplaires, invitations, etc. tout est à sa charge. « Les Sommelières sont un événement gratuit. C’est une opération de communication. Nous semons pour récolter. »

Cyrille Becavin accueille des visiteurs de toute l’agglomération nantaise lors de ses portes-ouvertes.

Un double objectif : communiquer et fidéliser
La récolte justement, est plutôt fructueuse pour ces organisateurs de portes ouvertes. Sans dévoiler de chiffres, Chantal Lieubeau indique réaliser des ventes conséquentes pendant le week-end. « Les vins présentés en dégustation sont souvent les plus vendus. Les crus et la méthode traditionnelle marchent bien également. » Cyrille Becavin estime quant à lui réaliser 15 % de son chiffre d’affaires annuel lors de ces deux week-ends. « Le marché de Noël est notamment très important. Je vends en moyenne 2 500 bouteilles. Certains clients achètent six bouteilles, d’autres en profitent pour faire leur commande annuelle et prennent 80 bouteilles. » A Bouaye, le Domaine du Haut-Bourg réalise également une part importante de ses ventes lors des portes ouvertes « mais cela se poursuit également dans les jours suivants » remarque Nicolas Choblet. « Nous sommes ouverts comme un commerce. Ce week-end nous permet surtout de nous faire connaître. C’est une opération de communication. » Une opération que tous essayent de renouveler chaque année. Hervé et Nicolas Choblet envisagent d’inviter cette année un 3e artiste à l’Art Chai, Chantal Lieubeau a quant à elle convié un peintre de Dordogne a exposer ses toiles au caveau. Les Sommelières ont même donné d’autres idées à la Famille Lieubeau qui propose désormais à ses clients quatre rendez-vous dans l’année. Dégustation de printemps, promenade dans le vignoble, vendanges en famille, etc., les occasions de rencontres se multiplient. Toujours avec la même ambition : celle de faire découvrir le métier et les produits du vigneron.

Lors de la 2ème édition de l’Art Chai en 2015 à Bouaye, les visiteurs avaient pu découvrir des œuvres inédites, exposées dans le noir.