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Environnement et société : la transition viticole en marche ?

La récente controverse autour du glyphosate a ravivé les tensions autour des modes de cultures agricoles. De plus en plus méfiants vis à vis des modèles dits « intensifs », les consommateurs réclament aujourd’hui des systèmes plus responsables. Une mutation à laquelle est aussi confrontée la viticulture. Regard du géographe Jean-Louis Yengué*.

« Avez-vous ou envisagez-vous de changer vos habitudes de consommation pour aller vers des produits plus responsables (bio, labellisés, locaux, plus rémunérateurs pour le producteur) ? » A cette question posée par l’Ifop dans le cadre d’une enquête pour WWF France publiée en octobre dernier, 70 % des personnes interrogées ont répondu « oui ». Un « oui » qui ne traduit pas seulement une volonté mais qui, pour 40 % d’entre eux, est une réalité. A l’heure de la mondialisation, signes de qualité, bio et circuits courts gagnent du terrain. 62 % des Français déclarent aujourd’hui consommer du bio « souvent », alors qu’ils n’étaient que 41 % il y a 10 ans. L’envie de consommer des produits plus goûteux, plus respectueux de l’environnement font partie de leurs motivations principales. Mais l’argument numéro 1, c’est celui de la santé**.

Alors que l’utilisation de certains pesticides, comme récemment le glyphosate, suscite le débat dans toute l’Union européenne, les consommateurs s’inquiètent. Ils sont même 93 % à penser que leur santé est impactée par la présence de pesticides dans les aliments qu’ils consomment (enquête Ifop pour WWF France). Et le signal d’alarme tiré par l’UFC Que Choisir sur la progression des pollutions des ressources aquatiques n’est pas pour les rassurer. Dans son plaidoyer pour une réforme de la politique de l’eau, l’association épingle en effet « la responsabilité de l’agriculture intensive quant à la pression quantitative sur la ressource. » Est-on alors arrivé à une fracture entre le monde agricole et les consommateurs ? Pour Jean-Louis Yengué, géographe et professeur à l’Université de Poitiers, c’est surtout la question du partage du territoire qui est en jeu: « Au départ, il y avait deux mondes séparés : celui des villes et celui des champs. Puis l’urbanisation a gagné les campagnes et ces deux mondes se sont retrouvés très imbriqués. Aujourd’hui, l’agriculture se développe même dans la ville. En parallèle, on a vu se mettre en place la révolution verte. Il fallait nourrir le plus grand nombre. Aujourd’hui ce système est terminé et on en voit les retombées, négatives notamment, en termes de pollution et de santé publique. Le problème, c’est qu’aujourd’hui on gère l’urgence sans trop penser à l’avenir. On doit vraiment travailler à deux niveaux, immédiat et à long terme, et trouver des solutions pour bien vivre sur ces territoires. »

Rapprocher agriculteurs et consommateurs
Pour le géographe, la priorité est de renouer le dialogue entre les agriculteurs/vignerons et leurs voisins. « Certains riverains expriment le besoin d’être mieux considérés par les agriculteurs qui les entourent. Même quand ces derniers prennent des mesures comme par exemple en décalant les traitements pour ne pas gêner leurs voisins, ils ont le sentiment d’être mis de côté car ils n’en sont pas informés » poursuit Jean-Louis Yengué. Et d’ajouter : « Mais attention, dialoguer ce n’est pas essayer de convaincre l’autre, c’est savoir écouter. »

N’est-ce pas alors aux élus de jouer le rôle de médiateurs ? « Les élus locaux sont là pour gérer le territoire. Certaines communes mettent des outils à disposition pour que chacun trouve sa place. D’autres ont le sentiment d’avoir trouvé la bonne formule parce qu’elles ont instauré une Zone Agricole Protégée alors que ce n’était pas forcément ce qui était attendu d’un côté comme de l’autre. »
Dans le vignoble de Nantes, les viticulteurs ont décidé de prendre les choses en main. Collectivement, ils ont édité des outils simples et pédagogiques expliquant la culture de la vigne et l’utilisation des produits phytosanitaires. Un contrat territorial entre la Chambre d’agriculture et l’Agence de l’eau Loire Bretagne a également été signé début octobre. Son objectif : reconquérir d’ici 5 ans, la qualité de l’eau en favorisant des pratiques viticoles durables. Des mesures agro-environnementales pourraient aussi s’inscrire dans les cahiers des charges d’appellation. A l’échelle individuelle des exploitations, les labellisations s’accélèrent (AB, Terra Vitis, Haute Valeur Environnementale). Preuve que les viticulteurs sont bien conscients des enjeux environnementaux et mettent en œuvre des actions pour y répondre. Mais les transitions sont souvent longues et onéreuses.

De nouveaux modèles à inventer
Reste que si les viticulteurs tentent de s’adapter aux attentes des consommateurs, ils n’en demeurent pas moins soumis à une réalité économique. « J’ai récemment eu le témoignage d’une vigneronne pour qui son exploitation , c’est sa vie. Elle y travaille, elle y habite » raconte Jean-Louis Yengué. « Elle est dans une démarche vertueuse mais pas en bio. Elle expliquait que si elle passait en bio, le prix de la bouteille allait augmenter d’1,5 à 2 €. Elle posait la question : est-ce que les clients seront près à payer plus cher ? Pour elle, la réponse était non. » Et pourtant, selon l’enquête de l’Ifop pour WWF France, 69 % des français sont prêts à payer plus chers leurs produits pour permettre aux agriculteurs d’être mieux rémunérés. Ils sont également 90 % à souhaiter la mise en place d’une transparence complète sur les prix des produits alimentaires (rémunération des agriculteurs, marge de la grande distribution et de l’industrie agro-alimentaire).
L’avenir est-il dans les systèmes qui mettent en relation directe les consommateurs et les producteurs ? « On va en tout cas vers de nouveaux modèles. On voit également se développer de toutes petites surfaces dans les centres-villes et des coopératives de producteurs. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes à un tournant. Nous sommes arrivés à la fin d’un système qui a fait son temps. Mais d’un côté il y a des lobbys puissants qui veulent sanctuariser leur pré-carré et de l’autre des agriculteurs qui veulent changer mais qui ont peur de l’inconnu. Changer prendra du temps. Les transitions ne se font pas sans bouleversements. »

*Jean-Louis Yengué, géographe, Maître de conférences à l’Université de Poitiers intervenant lors du colloque “Vignes périurbaines : pour un dialogue entre agriculteurs et habitants” qui a eu lieu à Tours le 24 octobre 2017.
** Baromètre de l’agence Bio :
http://www.agencebio.org/comprendre-le-consommateur-bio