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Regards neufs sur le Muscadet

 

Ils sont jeunes, récemment installés dans le vignoble de Nantes, emplis d’ambitions et d’optimisme pour le Muscadet. Enfants de vignerons ou néo-viticulteurs, ils témoignent de leur parcours, de leur vision de l’appellation et de leurs projets.

C’est un constat : dans le vignoble de Nantes, 40 % de la surface viticole va changer de mains dans les cinq ans à venir. Selon les données de la Chambre d’agriculture, 37 % des viticulteurs ont actuellement plus de 55 ans. Le vieillissement de la profession n’est pas sans crainte pour l’avenir du vignoble. Pourtant de jeunes vignerons et vigneronnes font le choix de s’installer dans le Muscadet. Quatre à sept installations sont enregistrées chaque année en viticulture par la Chambre. Nous sommes allés à la rencontre de cette nouvelle génération pour en savoir plus sur son parcours, ses freins et ses accompagnements à l’installation, ses projets et son regard sur l’appellation. Jérémie Batard du Domaine Batard Langelier à Maisdon-sur-Sèvre, Clément Albert du Domaine du Bourgeais à Vertou et Emeline Bergeron et Jérôme Dumanois du Domaine de la Fessardière à Vallet témoignent de leur installation.

Quel a été votre parcours avant votre installation ?
Jérémie Batard : Je n’ai jamais voulu faire ce métier, je le trouvais trop exclusif. A 20 ans, je suis parti voyager. Au Royaume-Uni, en Australie, en Asie, en Europe de l’Est, etc. Je faisais les saisons, l’été dans les champs, l’hiver à la montagne.
Clément Albert : Après mon BTS viti-oeno à Briacé et une licence pro commerce et marketing à l’ESA d’Angers, j’ai travaillé deux ans dans un Domaine à Sancerre. Je suis ensuite parti six mois aux États-Unis, dans l’Oregon pour faire les vendanges. Je suis revenu en France, en Bourgogne pour six mois, avant de repartir pour la Nouvelle-Zélande travailler dans les vignes pendant six mois également.
Emeline Bergeron : Nous ne sommes pas issus du milieu agricole. Jérôme est parisien, je suis brestoise. Nous nous sommes rencontrés en école d’agronomie à Paris. Après l’obtention de notre diplôme d’ingénieur agronome, nous sommes partis travailler trois ans au Vietnam dans le développement agricole, Jérôme plutôt dans la partie eau/environnement, moi plus sur la gestion agricole et la commercialisation des produits. Nous sommes rentrés en France en 2007 et nous nous sommes installés à Nantes. Chacun travaillait dans une société différente, toujours autour l’environnement et du conseil en gestion agricole.

Jérôme Dumanois et Emeline Bergeron se sont installés le 1er septembre 2015 au Domaine de la Fessardière.

Pourquoi avoir décider de vous installer, en particulier dans le Muscadet ?
Jérémie Batard : Avec Claire Langelier, ma compagne, nous avons commencé par donner un coup de main sur le Domaine familial pour palier à une surcharge de travail. On a réalisé que l’on avait tout sous la main et nous nous sommes lancés. Mes parents ne m’ont jamais incité à reprendre. Ils s’étaient fait une raison et avaient déjà fait leurs calculs pour arrêter en douceur. Quand je leur ai annoncé mon projet, leur réaction était la joie mêlée d’appréhension. A l’époque, la situation du Muscadet était un peu compliquée. Mais ils étaient contents que je continue d’autant que le village ne comptait plus beaucoup de vignerons. Ils étaient 15 quand j’étais enfant. Nous ne sommes plus que deux aujourd’hui.
Clément Albert : Je suis actuellement salarié du domaine familial mais avec le projet de m’installer avec mes parents en avril 2019. Cela fait trois, quatre ans que j’ai fait ce choix mais je voulais voir avant ce qui se faisait ailleurs.
Emeline Bergeron : Nous avions envie d’être plus proches de la terre, plus autonomes aussi dans notre façon de travailler. Nous avons cherché un domaine à reprendre dans le Muscadet. C’était un choix cohérent par rapport à notre vie. Nous n’avions pas envie de changer de région et nous savions qu’il y avait de belles perspectives pour le Muscadet, que l’on pouvait faire de très beaux vins. Nous avons visité plusieurs Domaines. Ces visites ont confirmé le fait que nous voulions travailler en agriculture biologique. C’est un secteur qui comporte pas mal de difficultés techniques mais le challenge nous intéressait. Nous avons rencontré Michel Sauvion. Il cherchait à céder pour partir en retraite. C’était un beau domaine, déjà converti à l’agriculture biologique. Nous avons travaillé avec lui pendant un an, en transition, puis nous nous sommes installés au 1er septembre 2015.

Avez-vous rencontré des difficultés dans votre processus d’installation ?
Jérémie Batard : Ayant bac agricole mais pas de formation viticole, j’ai suivi un BPREA avec la Chambre d’agriculture. C’est une bonne formation mais trop généraliste et je n’y ai rien appris que je ne savais déjà. Cela étant, elle m’a permis de faire des stages, notamment à la Pépière avec qui j’entretiens de très bonnes relations. J’ai par ailleurs dû décaler mon installation d’un an pour cause de mildiou et de gel. Je me suis officiellement installé le 1er juillet 2017.
Clément Albert : Aujourd’hui le processus est enclenché mais c’est un peu long. Je suis accompagné par le Chambre d’agriculture. Il faut chiffrer la valeur de l’exploitation, réaliser un plan d’entreprise, un prévisionnel sur plusieurs années, contacter les banques,etc. J’ai également 80 heures de stages à effectuer.
Emeline Bergeron : Cela a été un peu plus compliqué au niveau financement. Quand on a présenté notre projet, l’une des banques ne nous a pas pris au sérieux. La période n’était pas favorable pour le Muscadet.
Jérôme Dumanois : Nous nous sommes installés en 2015. 2016 et 2017 ont été deux années très difficiles. Comme pour d’autres, le gel nous a mis un coup au moral. Il y avait une tension croissante sur les finances de l’entreprise et la quantité de travail pour s’en sortir mais nous n’avons jamais douté de notre projet.

Clément Albert s’installera en 2019 sur le domaine familial à Vertou.

Travaillez-vous dans la continuité de vos/votre prédécesseur(s) ou mettez-vous en place de nouveaux débouchés ?
Jérémie Batard : Mes parents travaillaient avec le négoce, ce qui n’était pas notre truc. Nous avons pris le risque d’arrêter et finalement la transition s’est bien faite. On a changé les étiquettes, les tarifs aussi. On ne pouvait pas vivre avec une bouteille vendue 3 €. On a développé le CHR, la vente directe, l’export. Nous avons également noué des partenariats avec des vignerons d’autres régions avec lesquels l’achat de moûts est contractualisé. Cela nous permet d’être plus sereins sur la trésorerie. Faire des salons nous a permis de rencontrer des gens intéressants et intéressés. Il nous est arrivé de faire 1 000 kilomètres pour vendre 6 bouteilles mais les contacts noués nous ont tous apporté quelque chose à un moment donné. C’est comme cela que l’on a développé l’export. Aujourd’hui on retrouve nos bouteilles dans l’un des plus grands restaurants de Sao Paulo au Brésil, au Mexique, aux États-Unis, au Canada, en Europe. On est hyper contents que nos vins soient goûtés partout. Nous avons une nouvelle clientèle, jeune, mais aussi des cavistes et des restaurants. Aujourd’hui le chiffre d’affaires progresse et on se rémunère.
Clément Albert : Avec mon installation, l’objectif est de développer la partie commerciale. Aujourd’hui nous avons une grosse partie de vente négoce. Le projet consistera à augmenter la vente directe et à se lancer à l’export. Nous allons d’ailleurs commencer dès cette année en étant accompagnés par Food Loire.
Emeline Bergeron : Dès notre installation nous avons décidé étoffer la gamme de vin produite au Domaine. Nous avons fait des vendanges manuelles sur certaines vieilles vignes, fait des cuvées sans soufre, en tonneau. Cela nous a permis d’aller chercher une autre clientèle. Michel Sauvion travaillait beaucoup avec la GMS, nous avons développé le réseau de cavistes, restaurants, un peu de clientèle de particuliers même si on ne cherche pas forcément à se faire connaître auprès du grand public. Nous ne sommes pas dimensionnés pour faire de l’accueil à la cave par exemple. Il nous arrive de faire des événements, comme à l’occasion des vendanges, mais cela reste rare. Nous sommes aussi présents à l’export, en Grande-Bretagne, Allemagne, Japon, États-Unis. Cela représente un tiers de notre production. Il était important de nous diversifier pour limiter les risques.

Installé depuis le 1er juillet 2017 à Maisdon-sur-Sèvre, Jérémie Batard a depuis entamé la conversion du domaine à l’agriculture biologique.

Comment vous positionnez-vous face aux évolutions environnementales actuelles et quel est votre regard sur les difficultés parfois générées par le partage de l’espace rural entre agriculteurs et habitants ?
Jérémie Batard : Il y a cinq ans, nous avons décidé de convertir le Domaine à l’agriculture biologique. Au départ sans organisme certificateur. Nous avons véritablement passé le pas en 2017. On se rend compte que nos nouveaux clients sont intéressés par notre conversion. Ils veulent que les vins racontent une histoire. C’est une tendance vers des vins plus vivants, moins standardisés.
Clément Albert : Nous sommes aujourd’hui en conventionnel mais nous réfléchissons à passer la certification HVE l’année prochaine. On va notamment supprimer en partie les herbicides dans l’inter-rang, passer à la confusion sexuelle, dans l’objectif de nous différencier.
L’exploitation est située en zone péri-urbaine. C’est à la fois une chance car nous touchons un vivier de consommateurs important, surtout du fait de notre proximité avec Nantes. D’un autre côté, ça me fait un peu peur car la ville grappille peu à peu du terrain. Il nous arrive d’être interpellé par les gens sur nos traitements, cela ne nous pose pas de problème. Au printemps prochain, nous avons prévu d’organiser une réunion d’information avec les voisins dont les habitations touchent les vignes. Nous voulons leur expliquer pourquoi nous traitons, quels produits nous mettons, comment fonctionne la confusion sexuelle, etc. Il faut faire de la pédagogie. Déjà cette année nous avons envoyé des SMS à des voisins pour les prévenir des traitements. Si les riverains sont intéressés, nous pourrons faire un envoi groupé.
Jérôme Dumanois : Communiquer est hyper important. Nous avons la chance d’avoir des parcelles groupées et éloignées des habitations. Cela étant, quand nous réalisons des traitements un peu spectaculaires, nous prévenons les voisins. Nous n’avons rien à cacher. La période des traitements est souvent stressante, surtout en bio, il faut réagir vite mais cela n’empêche pas de prévenir la veille au soir. Il faut garder le contact.

« Aujourd’hui le Muscadet retrouve ses lettres de noblesse. La route est encore longue mais je me dit qu’en m’installant, je ne vais peut-être pas dans le mur. » Clément Albert.

Quelle est votre vision de l’appellation ?
Jérémie Batard : J’y crois, j’aime ça. Il n’y a pas de raison que ça ne marche pas. Tout ce qui se passe en ce moment va dans le bon sens. J’aime le travail de communication qui est fait et c’est pour cela que je participe aux animations. On a besoin d’être collectifs.
Clément Albert : Aujourd’hui le Muscadet retrouve ses lettres de noblesse. La route est encore longue mais je me dit qu’en m’installant, je ne vais peut-être pas dans le mur. Si je peux m’installer aujourd’hui, c’est justement parce que ces dernières années ont été plus favorables à l’appellation. Mais je sais qu’il y aura encore des années difficiles, encore du travail pour mieux valoriser nos vins.
Emeline Bergeron : Notre vision de l’appellation n’a pas changée. Il y a un potentiel de développement mais il y a encore du boulot pour mieux la valoriser. Mais nous croyons en l’appellation. Quand nous replantons aujourd’hui, nous replantons du Muscadet.

« On s’intéresse aussi à la biodynamie comme à tout ce qui peut nous permettre de travailler plus naturellement. On explore, mais on ne se précipite pas.  » Jérôme Dumanois.

Quels sont vos projets ?
Jérémie Batard : L’objectif serait de réduire les surfaces, de 25 à 15 hectares. Ce n’était pas possible quand je suis arrivé mais aujourd’hui, avec une meilleure valorisation, c’est envisageable. D’autant plus avec la conversion au bio. Je continue également d’apprendre. Je dois encore maîtriser l’appareil végétal, les vinifications. Beaucoup de vignerons m’ont dit qu’il fallait 30 à 40 ans pour être un bon vigneron. J’ai de la chance, mon père nous laisse tenter des choses. Toujours avec l’œil au-dessus de l’épaule.
Clément Albert : Nous n’avons pas l’ambition de nous agrandir mais de réaliser quelques travaux sur le domaine. L’année prochaine, nous vinifierons également notre premier cru puisque nous faisons partie de la démarche du cru La Haye Fouassière. Quand elle s’est lancée, j’ai poussé mon père à la rejoindre. C’est une démarche collective, nouvelle mais très intéressante. Elle nous permet de travailler encore mieux nos vins, de mieux les valoriser aussi.
Jérôme Dumanois : Pour l’instant nous nous consacrons au Muscadet et au Chardonnay dont nous venons de récupérer 1 hectare. Peut-être à l’avenir travaillerons-nous d’autres cépages mais nous faisons les choses petit à petit. Comme nous ne ciblons pas les particuliers, nous n’avons pas besoin d’élargir la gamme avec des rouges ou des bulles. Quand nous avons des demandes sur ce type de vin, nous travaillons en partenariat avec des collègues vignerons.
Nous n’avons pas de projet d’agrandissement, en revanche nous avons pleins de choses à faire au niveau matériel et cuverie. Mais on le fera progressivement. On s’intéresse aussi à la biodynamie comme à tout ce qui peut nous permettre de travailler plus naturellement. On explore, mais on ne se précipite pas. Cela viendra sans doute par le biais d’essais. La certification en bio est déjà très rassurante et nous ne voulons pas nous imposer de contraintes supplémentaires.


Ces trois profils d’installations sont le reflet d’une partie des projets menés ces dernières années dans le Muscadet. D’autres également voient le jour. Viticulteur négociant, multi crus, investisseur, etc., la profession évolue et modifie la physionomie des exploitations. Nous y reviendrons le mois prochain avec de nouveaux témoignages.