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Hiérarchie du Muscadet : quelle place et quels enjeux pour l’entrée de gamme ?

Imaginez une pyramide avec à sa base, l’AOC régionale, en son centre, les AOC sous-régionales et à sa tête les Dénominations Géographiques Communales. Ce schéma, c’est celui de la hiérarchie de l’AOC Muscadet. Une hiérarchisation à laquelle nous avons choisi de consacrer le dossier de la newsletter. L’occasion de faire le point sur chacun de ces niveaux, leur place, les volumes qu’ils représentent et leurs débouchés. Premier volet ce mois-ci : l’entrée de gamme.

« La segmentation est un outil qui permet de créer de la valeur par une montée en gamme, de valoriser les terroirs, le travail du vigneron et de coller aux différentes attentes du marché avec des produits différenciants. » Pour Olivier Martin, président délégué à la communication à la Fédération des Vins de Nantes, le travail de hiérarchisation du Muscadet entamé depuis plusieurs années est non seulement nécessaire mais correspond à une demande du terrain. « Il y a clairement eu un avant et un après 1991. Avant le Muscadet était un produit assez homogène. Puis le gel a fait qu’il a fallu se réinventer, se diversifier pour étendre le territoire de conquête du Muscadet. C’est à ce moment-là d’ailleurs que ce sont lancées les premières démarches de cru communal, afin de valoriser les terroirs et leurs différences. » Depuis, la pyramide s’est affinée et comprend aujourd’hui trois niveaux distincts : le haut avec les Dénominations Géographiques Communales, le milieu avec les Muscadets sous-régionaux avec et sans mention sur lie, puis la base avec le Muscadet AOC.

« Ce premier niveau correspond au Muscadet régional. C’est un Muscadet d’entrée de gamme, un Muscadet « classique » avec un profil que l’on veut jeune, fruité, vif, qui s’accorde avec les fruits de mer, les coquillages » explique Olivier Martin. « Ce produit doit nous permettre d’intéresser un public jeune, qui découvre l’univers des vins. C’est un vin décomplexé qui doit donner envie d’aller plus loin. »
Produit sur 65 communes du vignoble de Nantes, le Muscadet AOC couvre aujourd’hui 1 419 hectares avec des surfaces qui jouent au yo-yo comme le montre le tableau ci-dessous, issu des données économiques d’Interloire.
Ce segment représente par ailleurs un volume de 83 600 hectolitres* sur la campagne 2017-2018, en baisse de 21 % par rapport à la campagne précédente. Ce recul s’explique par une baisse de la récolte dû au gel et d’une augmentation des cours du vrac et des moûts : 168 € pour le vrac en 2017/2018 contre 139 € sur la campagne précédente, et un cours moyen de 108,7 € sur les 10 dernières campagnes**. « Ce n’est pas le segment qui réalise le plus de ventes mais c’est un marché non négligeable » poursuit Olivier Martin.

Le Muscadet Primeur en éclaireur
Dans ce segment de l’entrée de gamme figure aussi le Muscadet primeur. Un marché plus anecdotique avec 546 hectolitres commercialisés en 2017/2018, mais « un vin qui est dans le profil recherché. C’est un Muscadet frais, vinifié sans élevage. Il permet aussi de démarrer la campagne très tôt après les vendanges. » Commercialisé à partir du 3e jeudi de novembre, ce Muscadet primeur est aussi l’occasion pour les vignerons qui en produisent de créer l’événement. C’est le cas de Jérémie Huchet, à Château-Thébaud. Depuis 2013, et sur une idée de son ami et collègue vendéen Jérémie Mourat, il commercialise « Le lapin de six semaines », un vin 100 % melon, élevé pendant six semaines entre la récolte et la mise en bouteille. Un primeur prétexte à une soirée conviviale au chai le 15 novembre dernier à laquelle ont participé 200 personnes. « L’idée de départ était de dépoussiérer l’image du Muscadet avec un vin simple, sur le fruit, un peu peau de raisin. Il est vendu auprès des restaurateurs, cavistes, à la cave et un peu à l’export et ça marche très bien. » Avec ses étiquettes modernes et colorées, le Muscadet primeur est un produit commercial et marketing. Même s’il est loin d’atteindre le niveau du Beaujolais nouveau il gagne chaque année du terrain chez les vignerons mais aussi chez les cavistes qui profitent de l’événement pour présenter une gamme élargie de vins primeurs à leur clientèle.

Au Domaine de la Chauvinière, le « Lapin de six semaines » n’était pas seulement en bouteilles…

A Saint-Fiacre, Pierre-Henri Gadais a lui aussi choisi un étiquetage moderne et « marketé » pour le lancement de sa nouvelle cuvée « Vendanges Nocturnes ». Réalisée à partir de Melon de Bourgogne, il ne s’agit pourtant ni d’un primeur, ni d’un Muscadet AOC. « C’est mon vin d’entrée de gamme mais il est classé en vin de France. Il y a encore aujourd’hui un problème de perception du Muscadet chez le consommateur. Il ne s’agit pas de le duper mais de l’inviter à découvrir sans à priori. » Cette nouvelle stratégie tient aussi son explication dans l’expérience familiale. « On avait par le passé un Muscadet d’entrée de gamme mais le consommateur, surtout étranger, ne comprenait pas la différence avec le sur lie. Le passer en vin de France rend l’explication plus simple » poursuit Pierre-Henri Gadais.

L’avenir du Muscadet régional est à écrire
Dans le vignoble de Nantes, l’entrée de gamme ne commence pas non plus toujours par le Muscadet AOC. Le Domaine de la Pépière à Maisdon-sur-Sèvre a ainsi construit sa gamme autour de deux familles : les Muscadets Sèvre et Maine sur lie et les crus communaux. « Notre gamme est construite autour de l’expression du terroir et l’a toujours été même si la démarche de cru est relativement récente. C’est une volonté d’avoir une entrée de gamme sur le sur lie car nous essayons de recentrer les parcelles qualitatives sur le Sèvre et Maine. Cela nous semble logique de les mettre en valeur. Nous travaillons par ailleurs exclusivement en bouteilles. » Le Muscadet AOC est en effet souvent un marché de bib. Il est par ailleurs principalement commercialisé par le négoce en grande distribution, à des prix qui restent attractifs pour le consommateur, aux alentours de 4 €.
Alors y’a-t-il encore un intérêt à conserver cette base pour les vignerons du nantais ? Oui pour Olivier Martin. « Une segmentation a trois niveaux amène de la stabilité. Si cette entrée de gamme disparaît, le risque est de voir les Muscadets sur lie et sous régionaux occuper cette place et donc d’entraîner une tendance des prix à la baisse. Nous avons tout intérêt à le garder mais il faut le redéfinir pour le rendre plus proche de nos exploitations. On s’interroge sur le cap à donner à ce segment et avec quels partenaires : négoce, coopératives, exploitations individuelles ? La question est ouverte. » La diversité des itinéraires suivis par les vignerons rencontrés en témoigne. L’avenir du Muscadet AOC reste encore à écrire et les évolutions du cahier des charges permettront, peut-être, de définir les futures orientations.

De nouvelles règles de production bientôt en place
Une nouvelle étape a en effet été franchie le 15 novembre dernier avec la validation des modifications du cahier des charges du Muscadet par le Comité national de l’INAO. Le projet va désormais faire l’objet d’une Procédure Nationale d’Opposition de deux mois. Parmi les principales mesures concernant l’AOC citons :
– A compter de la récolte 2020, fin du repli massif du niveau sous-régional vers le niveau régional par le biais de l’introduction d’un soutirage obligatoire des vins de l’AOC régionale avant le 31 juillet de l’année n+1 des vendanges et obligation d’un élevage des vins des AOC sous-régionales dans les chais de vinification sur leurs lies fines de vinification jusqu’à la première transaction avec expédition des vins de la cave ou le conditionnement en bouteilles.
– Fin de la mention « sur lie » pour le Muscadet AOC.
– Introduction d’un cépage complémentaire, le Chardonnay B, jusqu’à 10 % maximum.
– Possibilité d’abaisser la densité de plantation de 6 500 jusqu’à 5 000 ceps/hectares.
– Augmentation de la charge moyenne à la parcelle à 12 000 kg/ha et du rendement de 5hl (70hl/ de base et 83 hl/ha en butoir)
Pour Olivier Martin, « ce nouveau cahier des charges doit permettre de tendre vers des modèles économiques moins coûteux. Mais cette avancée ne sera bénéfique que si le négoce accepte de s’engager. Seule la contractualisation permettra d’appliquer ces nouvelles règles de production. » 

*dont primeurs et sur lie
**données issues des fiches économiques réalisées par Interloire