La stratégie de l’offre et de la demande
Le mois dernier notre dossier portait sur l’économie des vins de Nantes. De ce tour d’horizon des différents débouchés commerciaux est apparu une nécessité : celle de réguler l’offre pour ne pas subir les variations des marchés. Quels sont les outils à la disposition de la filière ? Comment les mettre en place à l’échelle d’un vignoble ou d’une exploitation ? Mais surtout comment coupler cette adaptation à la valorisation de l’offre ? Éléments de réponse.
« Connaître et gérer collectivement de manière différenciée la production et le stock pour sécuriser et stabiliser la mise en marché ». Cet engagement, c’est celui des organisations professionnelles du Val de Loire pour 2030. Inscrit dans le Plan de filière, il fixe la régulation de l’offre comme priorité pour faire face notamment aux aléas climatiques et aux évolutions des modes de consommation. Pour réguler l’offre, plusieurs outils peuvent être utilisés, par l’interprofession ou les Organismes de Défense et de Gestion. L’un d’eux l’a d’ailleurs été récemment dans le vignoble de Nantes : le Volume Complémentaire Individuel. Créé en 2013 ce dispositif permet de placer en réserve des volumes produits en dépassement des rendements autorisés dans la limite du rendement butoir – soit 35 000 hectolitres sur la récolte 2018 en Muscadet – utilisables sur la récolte 2019 pour compenser les pertes de rendements liées au gel. Dans un registre similaire, Interloire travaille actuellement à la mise en place d’une réserve interprofessionnelle. « Il s’agit d’un outil de régulation et de gestion des stocks, mis en place sur décision des familles production et négoce », explique Marie Gasnier, directrice de la prospective à Interloire. « Il consiste à mettre en réserve un volume d’une appellation produit au sein du rendement annuel. Ce volume peut ensuite être libéré collectivement, partiellement ou totalement. L’objectif est de lisser les volumes par rapport au marché. » Pour l’heure, cette réserve interprofessionnelle est en cours de réflexion. « Nous échangeons avec d’autres régions viticoles pour mieux connaître l’outil et savoir comment elles l’ont mis en place. L’objectif n’est pas d’avoir quelque chose de contraignant mais de lisser les volumes arrivant sur le marché pour éviter les à-coups de commercialisation comme les effets d’une sur-libération de volumes sur un marché qui n’est pas capable de les absorber. »

Marie Gasnier est directrice de la prospective à Interloire.
En amont de la récolte, d’autres mesures peuvent être instaurées pour mieux encadrer les volumes. C’est le cas de la fixation des rendements par l’ODG ou encore de l’affectation parcellaire. « L’exemple est celui de l’appellation Crémant de Bourgogne », ajoute Marie Gasnier. « En avril/mai, les producteurs décident des parcelles dédiées à la production de Crémant. Si les conditions sont réunies, ceux ayant effectué cette déclaration ont l’autorisation de produire des rendements plus élevés. A l’inverse, ceux qui n’ont pas procédé à cette affectation parcellaire, pourront toujours faire du Crémant mais dans des rendements plus restreints. »
Contractualiser plutôt que spéculer
Collective, la gestion des stocks peut également être individuelle, à l’échelle de l’exploitation. L’effet millésime est l’un des leviers. « Certains produits ne sont pas sensibles à l’effet millésime. En bib, notamment le consommateur n’a pas les mêmes exigences que sur un vin embouteillé. On peut alors s’affranchir du millésime. Il n’y a pas toujours l’obligation de revendiquer le millésime et si c’est le cas, la règle du 85/15 peut également être utilisée », poursuit Marie Gasnier. La contractualisation est aussi l’une des solutions pour « spécialiser une partie de sa production et ne pas être dans un schéma d’opportunisme. » Un schéma dont se détache de plus en plus les négociants selon Severine Lepaul, directrice des achats au sein de la Maison Orchidées. « Il y a très peu de marché libre en Muscadet au sein de notre maison. Nous sommes dans des relations à long terme avec des contrats sur trois ans, renouvelés automatiquement. » Les besoins en vins et en volumes sont déterminés en amont, « en mai-juin, pour l’année suivante », et les orientations soumises aux producteurs. « Nous n’avons pas de soucis d’approvisionnement en Muscadet, qui est par ailleurs un marché compliqué. Le Sèvre et Maine sur lie, orienté GD, voit ses ventes baisser et le Muscadet AOC n’a pas vraiment de marché construit. Il est souvent pris pour son prix faute d’avoir un style bien défini. Par définition le Muscadet AOC doit être frais, fruité, apporter un plaisir immédiat à la dégustation. C’est une définition produit connue, à l’export mais aussi en France. »
Fidélité et régularité
Pour s’adapter à la demande, certaines exploitations se sont structurées voire restructurées. Au niveau du parcellaire notamment, mais aussi de l’humain. En 2015, Laurent Bottineau, vigneron à Haute-Goulaine, a rejoint Frédéric Guilbaud, lui aussi vigneron, et Emmanuel Tuffreau, entrepreneur. Tous trois ont créé les Chais de Haute-Ville, 45 hectares sur 4 îlots et terroirs différents, dont la production est principalement vendue en grande distribution. Un marché porteur pour le Muscadet bien que les ventes baissent depuis plusieurs mois. Difficile dans ce contexte de valoriser ses produits. « L’unique façon de gagner plus est de valoriser nos meilleures cuvées », indique Laurent Bottineau. « Sur l’année 2019, notre Muscadet standard est à +2 % et le Muscadet haut de gamme vieillit en fûts à + 8%. Preuve que le consommateur cherche l’innovation et la qualité. » En grande distribution, l’augmentation des prix est « relative » estime le vigneron. « Nous avons réussi à placer une petite hausse cette année en expliquant nos difficultés face aux aléas climatiques. Ils sont dans l’ensemble compréhensifs malgré une enseigne récalcitrante. C’est réellement une histoire de relations avec le client. »

Sur les salons, les espaces de libre dégustation permettent aux clients professionnels de goûter les vins avant de rencontrer les producteurs.
Présent dans une moindre mesure en grande distribution, le domaine David et Duvallet à Vallet commercialise sa production auprès des particuliers mais aussi auprès du CHR et à l’export. Des débouchés qui nécessitent une forte présence commerciale. C’est la mission de Sébastien Duvallet mais pas seulement. « On travaille depuis peu avec des agents sur le national. Cela nous permet de couvrir une grande partie du territoire. » A l’export, le domaine opère en direct avec des importateurs mais ne néglige pas non plus l’importance des salons professionnels. « On y rencontre nos clients et on y trouve de nouveaux contacts. On met aussi nos vins dans les espaces de libre dégustation. Ça permet à un importateur de goûter les vins d’une appellation qu’il recherche plutôt que d’aller les voir un par un. Il goûte et ensuite il vient nous voir. La plupart de nos contacts se sont fait comme ça. » Reste qu’il faut être en mesure de lui assurer des volumes tout au long de l’année. « On garde toujours une réserve ‘au cas où’. Si l’année se passe bien, on le propose », indique Sébastien Duvallet. « Mais il faut bien connaître ses marchés, ses clients et profiter des salons pour leur demander leurs besoins à venir. Ils savent que l’on fait attention aux volumes. Les années de gel, on privilégie nos clients fidèles et c’est d’ailleurs grâce à cette fidélisation que l’on arrive à passer des hausses de prix. » Preuve s’il en faut que régulation des stocks et valorisation ne sont pas incompatibles. « On ne peut exister à l’export que s’il on est capable de garantir des volumes suffisants et réguliers. Et cela ne peut passer que par un pilotage des stocks », ajoute Marie Gasnier d’Interloire. « Nous avons des appellations et des couleurs qui correspondent aux attentes des consommateurs, en France et à l’international. Elles peuvent être vecteurs de performance sur les marchés. Mais pour cela il faut une vision construite et une mise en marché cohérente par rapport à ce que le marché est capable d’absorber. »