Journal de Bord
Tous les articles
Grand format

Economie : les Vins de Nantes à l’équilibre

Les vendanges ont officiellement démarré le 26 août en Muscadet. Si le millésime 2020 s’annonce qualitatif et quantitatif, il va permettre de rééquilibrer le niveau des stocks, impactés ces dernières années par les aléas climatiques. Pour les producteurs, l’enjeu à venir est surtout de maintenir voire de relancer la commercialisation des vins de Nantes après une baisse d’activité liée au confinement.

La campagne 2019-2020 restera à jamais dans les annales. Cette fois, ce n’est pas le gel ni les aléas climatiques qui en sont la cause, mais une crise sanitaire sans précédent qui a obligé le monde entier à tourner au ralenti pendant plusieurs semaines. Si l’agriculture a peu souffert des deux mois de confinement, on ne peut pas en dire autant de la viticulture. « Nous avons clairement eu un arrêt de la commercialisation de deux mois », indique Christian Gauthier, président de la Fédération des Vins de Nantes. « C’est reparti tranquillement au mois de juin mais pas autant qu’on le pensait avec l’ouverture progressive des restaurants. A partir de juillet en revanche, l’activité a été plus soutenue. » Pour une grande majorité des exploitations du vignoble de Nantes, la perte de chiffre d’affaires a été de l’ordre de 50 à 80 % entre mi-mars et mi-mai, rattrapée à moitié à peine sur la période estivale.

Analyse des marchés
A fin juillet, les sorties de chais en Muscadet (toutes AOC confondues) affichaient une baisse de 10,5 % par rapport à la même période sur 2018/2019. D’août 2019 à juillet 2020, 262 943 hectolitres sont sortis des chais, avec des performances différentes selon les appellations. Ainsi le Muscadet Sèvre et Maine sur lie était en repli de près de 17 % (149 828 hl contre 180 149 hl en 2018/2019). En revanche, le Muscadet AOC a repris des couleurs avec une hausse des sorties de 8,16 % à 88 759 hl contre 82 063 hl en 2018/2019. Sur cette appellation, on constate par ailleurs une augmentation des ventes négoce, leur part gagnant 3 points à 62 % contre 38 % pour la vente directe. Une hausse qui s’explique par la progression des ventes de Muscadet AOC en grande distribution. A fin juin, selon les données IRI France 41 460 hectolitres avaient été vendus en grandes surfaces soit + 4,8 % sur un an, du 22 juin 2019 au 21 juin 2020. Sur la même période, le Muscadet Sèvre et Maine sur lie affiche lui une baisse des ventes en volume de 6,3 % à 49 170 hl. « C’est l’effet Covid », souligne Christian Gauthier. « Pendant le confinement, les consommateurs se sont davantage tournés vers les bib. Le Muscadet AOC était également plus mis en avant par les grandes surfaces. La baisse des sorties en Muscadet Sèvre et Maine sur lie s’explique par la fermeture des bars et restaurants. »

Crédit : Emeline Boileau.

Sur le marché CHR, l’activité a repris progressivement en juin. La fréquentation des établissements et la consommation des vins de Nantes sont reparties à la hausse sur la période estivale, notamment sur la côte, à l’inverse de la région parisienne où la restauration est toujours freinée par le virus. Vigneron à Maisdon-sur-Sèvre, Jean-Luc Ollivier réalise une grande partie de son chiffre d’affaires en CHR. « Je travaille beaucoup avec les grossistes et cet été j’ai fait en 2 mois ce que j’ai fait en 3 mois l’an passé. Je suis surpris de voir les ventes de vin. Sans doute les Français ont voulu se réapproprier leurs vignobles. En revanche sur Paris, c’est plus compliqué. Les touristes ne sont pas là et les brasseries souffrent. »
En vente directe, les voyants sont au vert grâce notamment à un retour des clients dans les caveaux. « Nous avons reçu beaucoup d’appels de dernière minute de personnes qui recevaient des amis ou de la famille et qui avaient envie de visiter une cave », note Joël Forgeau, président de l’ODG et vigneron à Mouzillon. « Nous n’avons pas doublé la fréquentation mais sur le mois de juillet c’était assez impressionnant. En revanche, la difficulté quand on fait de l’œnotourisme, c’est d’appliquer les gestes barrières, notamment quand on fait des accords mets et vins, mais on s’adapte ! »
Enfin autre marché, celui de l’export. Si l’épidémie a quasiment stoppé les transactions au printemps, les échanges ont depuis repris. Selon les données fournies par Interloire à partir des données Douanes à fin juin 2020, les exportations de Muscadet ont baissé de 1,6 % en un an, s’établissant à 46 492 hectolitres contre 47 261 hl à fin juin 2019. C’est surtout vers les Etats-Unis que les exportations sont en net recul : – 32,8 % sur un an, passant de 9 841 hl à 6 613 hl, conséquence du coronavirus mais aussi de la Taxe Trump. Ailleurs, les indicateurs sont positifs. + 4,9 % au Canada (6 662 hl), + 11,3 % au Royaume-Uni (15 062 hl) et +32 % en Allemagne (2 731 hl). « En avril on a perdu 90 % de notre chiffre mais depuis juin, c’est bien reparti », constate Jean-Luc Ollivier présent en Amérique du Nord, en Asie, en Russie ou encore en Australie. « Si je regarde les chiffres du premier semestre on a perdu 10 % de notre chiffre d’affaires habituel, ça aurait pu être pire ! ».

Rendements : le cahier des charges respecté
C’est dans ce contexte de reprise mais avec de nombreuses incertitudes sur l’avenir que les vendanges ont débuté le 26 août en Muscadet. Epargné par les aléas climatiques cette année, le vignoble devrait faire « une belle récolte qualitative et quantitative », indique Christian Gauthier. Les rendements des cahiers des charges ont été demandés et validés par le comité régional de INAO le 18 août pour toutes les appellations, soit 70 hl/ha en Muscadet AOC, 55 hl/ha en Muscadet sous régional avec et sans mention sur lie et 45 hl/ha pour les crus. Le Comité régional avait également accordé un enrichissement de 1 % vol pour toutes les AOC du Val de Loire. Depuis, une demande complémentaire d’enrichissement de 0,5 % a été acceptée par le comité national de l’INAO pour le Muscadet AC et les sous-régionales sur lie. L’autorisation d’enrichissement est donc exceptionnellement portée pour la récolte 2020 à 1,5% vol pour tous les Muscadets, à l’exception des Dénominations Géographiques Complémentaires, avec maintien des rendements des cahiers des charges. Concernant le VCI, du fait de l’augmentation de l’enrichissement, le niveau sera réduit pour atteindre 5 ou 6 hl/ha, uniquement pour les appellations sous-régionales. La décision finale sera prise par le comité national de l’INAO en novembre prochain.
Avec cette récolte en cours et les stocks*, le vignoble de Nantes devrait donc compter sur 22 mois de commercialisation. « On est à l’équilibre », commente Joël Forgeau. « En Muscadet sous-régional c’est bien mais on doit pousser plus loin. Pour le Muscadet AOC, l’idée est d’être à 12 mois de commercialisation, pas plus. » La campagne de distillation mise en place suite à la crise sanitaire a notamment permis de réguler les stocks de cette appellation.

Le GPS en régulateur
Pour orienter ses choix de production et de commercialisation, la Fédération des Vins de Nantes dispose depuis 5 ans du GPS, la gestion prévisionnelle des sorties. « L’idée est d’informer l’opérateur de sa commercialisation sur les 3 dernières années avant qu’il ne réalise sa déclaration de revendication », explique Joël Forgeau. Ce tableau de bord jusqu’à présent réalisé pour les appellations sous-régionales l’est désormais aussi pour l’entrée de gamme. L’objectif est de réguler les marchés pour maintenir un niveau de valorisation satisfaisant. Pour le président de l’ODG : « Le marché libre n’existe plus. Il n’y a plus que deux types de marchés : la vente directe ou la contractualisation. » Il s’agit aussi d’encadrer la segmentation de la gamme. Pour cela, une autre mesure entre en vigueur pour cette récolte : l’interdiction de repli du Muscadet Sèvre et Maine vers l’AOC après le 31 juillet de l’année qui suit la récolte. Elle fait partie des nouvelles dispositions du cahier des charges du Muscadet Sèvre et Maine homologué en octobre dernier. Reste que si les perspectives sont relativement claires avec la famille production, elles le sont moins avec la famille négoce. « Nous n’arrivons pas à discuter sur les ambitions d’un vignoble », regrettent les responsables de la Fédération viticole.

Crédit : Emeline Boileau.

Deux enquêtes à venir
L’avenir du vignoble de Nantes comme celui des autres vignobles français est encore un peu flou, l’épidémie étant toujours présente. Les signes de reprise sont encourageants mais l’hiver est plein d’incertitudes. « Beaucoup de manifestations locales sont annulées. Randissimo, la rentrée du vignoble à vélo, etc. Ce sont autant d’occasions en moins de rencontrer les gens et de promouvoir nos vins », souligne Joël Forgeau. Les salons professionnels sont également menacés. Pour évaluer la situation économique des producteurs, la Fédération viticole et la Chambre d’agriculture vont réaliser cet automne des audits auprès des exploitations via le BCAO, le Bureau Commun d’Accueil et d’Orientation. Le but est de définir des scénarios d’avenir sur la stratégie commerciale, technique et sur la transmission. Une autre étude va également être menée prochainement par la Fédération et le Syndicat des Vignerons Indépendants Nantais, cette fois auprès des consommateurs pour identifier les freins à l’achat. Ses résultats serviront de phare à un projet de segmentation de l’offre ou à la création de nouveaux produits en adéquation avec les attentes des consommateurs et dans un objectif de valorisation de la production.

*A l’heure où nous écrivons cet article, les stocks (négoce et viticulture) au 31/07/2020 n’ont pas été communiqués.