Le secteur de la restauration prépare son déconfinement
Le 19 mai, les terrasses des cafés et restaurants vont retrouver leurs clients. Trois semaines plus tard, le 9 juin, les salles de ces établissements pourront les accueillir à leur tour. Des étapes attendues par les professionnels du secteur mais aussi par leurs fournisseurs dont les vignerons. Comment s’y préparent-ils ? Comment ont-ils vécu la crise ? Comment se sont-ils adaptés ? Restaurateurs, distributeurs et vignerons nous livrent leurs témoignages.
Catherine Querard, restauratrice et présidente du Groupement National des Indépendants Grand Ouest (1 400 adhérents en Pays de la Loire et Bretagne)
« Nous sommes soulagés par la réouverture prochaine de nos établissements. J’étais assez inquiète avant les annonces car le taux d’incidence restait à un niveau élevé comparativement à celui de fin octobre. Finalement la réouverture sera progressive, par phases de 3 semaines et non de 4 comme on le craignait. Au 30 juin, les restrictions seront levées et nous pourrons accueillir les touristes pour la saison estivale. Il semble également acquis que nous n’aurons pas de nouvelle fermeture avant l’été. Le gros regret porte sur les discothèques qui n’ont eu aucune annonce. Ce sont les grands oubliés.
Concernant les mesures annoncées, il faut savoir qu’un établissement sur deux ne dispose pas de terrasse. Soit elle est trop petite, soit il n’a pas les moyens d’en avoir une. Beaucoup vont faire le choix de rester fermés. Il faut donc rester prudents. Beaucoup ne vont pas rouvrir car économiquement ça ne tiendra pas avant le 9 juin. Le protocole, encore en discussion, devrait être le même que l’an passé : un mètre de table à table, pas plus de 6 personnes à table, désinfection des tables, port du masque… Ce que l’on ne connaît pas encore, c’est quelle sera la jauge à l’intérieur de nos établissements. C’est une inquiétude car l’an passé, la jauge imposée nous faisait perdre 25 % des places assises. Si on passe à 50 %, la rentabilité sera mise à l’épreuve. Est-ce que les clients seront aussi prêts à revenir en intérieur ? L’an passé, on avait déjà constaté une baisse de fréquentation chez les + de 65 ans.
Nous demandons coûte que coûte à rester ouvert. Depuis le début de la crise 110 000 salariés ont quitté le secteur et se sont positionnés sur des métiers qui n’étaient pas concernés par les fermetures. Chaque fermeture a des conséquences en termes de recrutement, de formation. C’est très destructeur. Pendant toute cette période, l’État a été à nos côtés. Il a été très pro-actif dans le soutien de notre secteur d’activité avec le fond national de solidarité et le chômage partiel. Cela a évité une hécatombe. Si cela n’avait pas été le cas, nous aurions perdu 25 à 40 % des établissements. Là, on devrait être entre 10 et 15 %. Ceux qui étaient déjà en difficulté avant la crise ne survivront pas. Certains se sont lancés dans la vente à emporter. Beaucoup ont essayé, beaucoup ont arrêté car les coûts de personnel étaient trop importants. Mais cela a permis de maintenir du lien avec les clients. Aujourd’hui, cela reste une activité moindre, 10 à 15 % du chiffre d’affaires.
Pendant toute cette période, nous avons passé beaucoup de temps à travailler sur nos cartes, sur les vins, pour être encore plus en adéquation avec notre région. Il est important de mettre en valeur les produits locaux, notamment auprès de la clientèle extérieure qui vient découvrir notre territoire. Nous avons de petits trésors, il faut les faire connaître ! »
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Nicolas Guiet, chef du restaurant l’U.ni à Nantes
« Notre réouverture est prévue le 9 juin. Ce ne sera pas possible avant car nous n’avons pas de terrasse. Et puis nous restons prudents. On espère que la date qui a été annoncée sera tenue. Je le croirais quand je pourrais mettre des clients à table car cette crise nous a appris à vivre au jour le jour.
Nous n’avons en tout cas jamais arrêté de travailler, hormis pendant trois semaines où nous avons fait des travaux dans la cuisine. Nous avons proposé de la vente à emporter, pour nos clients mais aussi pour continuer de faire travailler nos fournisseurs, les maraîchers, les vignerons. Il était inconcevable pour moi de tout arrêter. Je l’ai fait seul, sans faire revenir les équipes hormis ponctuellement le pâtissier et le responsable de salle. Les bons mois, la vente à emporter a représenté 35 à 40 % du chiffre d’affaires et ce, sans impact sur les aides de l’État. On a d’ailleurs de la chance d’avoir un pays qui nous aide.
On est des hyper-actifs dans notre métier. On a l’habitude de travailler 16 heures par jour alors se retrouver à la maison… Il y a eu une période où j’en ai profité pour me retrouver en famille. Et puis je suis allé voir les fournisseurs à qui on promet toujours de rendre visite. J’ai été rencontrer les maraîchers, je suis allé aider Vincent Caillé durant le gel. Pendant 3 nuits je l’ai aidé à allumé des bougies. Pour moi c’est tout à fait normal. Je ne travaille d’ailleurs pas avec des fournisseurs mais avec des amis. C’est aussi pour ça que j’avais créé l’é.Paulée nantaise en 2017. L’objectif est maintenant de leur passer commande au plus vite. J’avais chargé ma cave en mars 2020. La vente à emporter nous a permis de passer les stocks. Là, on fait un peu de réassort, on anticipe la réouverture.
Les réservations commencent à arriver, doucement. Je pense que les clients attendent de se rapprocher de la date pour se manifester. Eux aussi ont appris à vivre au jour le jour. On espère qu’ils auront envie de se faire plaisir. J’espère aussi qu’ils vont se démarquer dans leurs habitudes. Cette crise a amené une autre façon de consommer, plus locale. Pour ma part, cela a confirmé mes choix pris il y a 10 ans de privilégier le circuit-court. »
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Charles de Lesquen, caviste et restaurateur à « Ose Mets Vins » à Vertou
« Nous sommes plutôt contents des annonces de réouverture. Maintenant, on sait que c’est un calendrier de principe et qu’il dépend de l’évolution de l’épidémie. On a envie d’y croire et on se prépare. Nous avons la chance d’avoir une terrasse mais le challenge sera de gérer les clients quand les conditions météos seront changeantes… Nous respecterons la jauge imposée par les restrictions sanitaires et nous installerons également des tables sur le parking devant l’établissement. Cela permettra aux gens de prendre leur repas à emporter et de déjeuner façon pique-nique. C’est une formule « mixte » que l’on va mettre en place pendant trois semaines, jusqu’au 9 juin.
Depuis le début de la crise, nous sommes toujours restés ouverts. La partie cave représente 65 % de notre activité, les 35 % restant correspondant à la partie table d’hôtes ouverte pour le déjeuner. Au 1er confinement, nous avons perdu 50 % de notre chiffre d’affaires. En mai, nous avons lancé la vente à emporter ce qui nous a permis de limiter la baisse. Cette formule fonctionne très bien avec 40 à 50 repas par jour. Cela permet aussi de maintenir le lien avec les clients et d’en toucher de nouveaux qui ne nous connaissaient pas. On remarque que les clients se font davantage plaisir aujourd’hui. Ils ont aussi appris à aller chez le caviste. La crise a entraîné un double mouvement : l’envie de soutenir le commerce de proximité et celui de s’approvisionner juste à côté de chez soi. Le challenge sera de maintenir cela. Mais ça ne dépend pas que de nous. Les vins de Nantes sont en tout cas de plus en plus demandés. Je pense que les clients ont pris conscience qu’il y avait de très beaux vins dans le vignoble et ils ont aussi envie de consommer plus local. Les perspectives sont bonnes en tout cas.
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Laurence Goubet, fondatrice des Bouillonnantes, association de promotion du bien-manger et du bien-boire à Nantes, engagée en faveur de pratiques alimentaires plus vertueuses
« L’association est née à la suite du 1er confinement. Une trentaine de chefs nantais s’étaient alors mobilisés pour offrir des repas au personnel soignant. Eux qui, avec leur rythme de vie, n’avaient pas le temps de se rencontrer, se sont mis à échanger via un groupe WhatsApp. J’ai voulu profiter de ce mouvement pour les fédérer autour des questions de la transition alimentaire, et à la valorisation de leurs bonnes pratiques. J’avais alors initié depuis peu un webzine sur cette thématique. D’un webzine, on est passé à un livre « Le Goût de Nantes », avec des recettes de chefs nantais qui mettent en avant les producteurs locaux. Puis est née l’association dont l’objectif est d’accompagner les chefs dans leur réflexion d’une cuisine la plus éco-responsable possible. Parmi nos actions, il y a des visites chez les producteurs. L’objectif est de comprendre les enjeux du territoire, les enjeux de la paysannerie. Avec les restaurateurs, nous sommes allés chez des éleveurs, des vignerons, etc. L’objectif est maintenant de poursuivre ce type d’actions et d’accompagner les chefs pour qu’ils s’approvisionnent le plus localement possible et qu’ils puissent mutualiser leurs approvisionnements.
Beaucoup vont maintenant reprendre le 9 juin, lorsqu’il sera possible d’accueillir les clients à l’intérieur. Ils sont confiants. L’association fédère une cinquantaine de restaurateurs qui font, pour la plupart, entre 30 et 40 couverts. Ils ont un attachement avec leurs clients et ne sont pas inquiets, ils reviendront. L’été dernier a tellement bien fonctionné, on s’attend à ce que ce soit pareil. Économiquement, certains sont toutefois dans des situations moins favorables. Je pense à ceux qui ont ouvert récemment et qui n’ont pas pu bénéficier des aides de l’Etat. Ils ont tenu grâce à la vente à emporter, mais cela reste fragile et c’est eux qu’il faudra soutenir.
De mon côté, je vais poursuivre les missions de l’association. On maintiendra les visites chez les producteurs et eux aussi viendront chez les chefs pour des ateliers culinaires. Un 2e volume du Goût de Nantes est aussi en préparation. »
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Eric Chevalier, vigneron sur 30 hectares en bio à Saint-Philbert de Grandlieu
« Le bilan de l’année 2020 est bon pourtant ça n’a pas toujours été simple. En mars dernier, à l’annonce du confinement, il y a eu du stress. Nous faisons 50 % de notre chiffre d’affaires à l’export et on avait déjà accusé le coup avec les Taxes Trump. Quand les restaurants ont fermé, on s’est demandé à qui on allait vendre notre vin. Mais les cavistes ont incroyablement bien travaillé pendant cette période et ça nous a sauvé. L’été a aussi été très actif. Les restaurants chez lesquels nous sommes présents ont très bien tourné pendant la saison estivale. On a fait une bonne récolte 2020, notre première en bio après 4 ans de conversion, et on a pu développer de nouveaux marchés à l’export, au Canada, en Ukraine.
Le 2e confinement, on n’en a pas vu la couleur. Nous avons fait énormément de rencontres. Nous avons reçu beaucoup de restaurateurs, de sommeliers. Ils sont au taquet de leur vignoble ! Ils sont intéressés de savoir comment sont les vins, les vignerons qui les entourent. Certains sont venus 2, 3 fois. D’habitude il y avait les salons pour se rencontrer, là, ils avaient du temps libre qu’ils ont mis à profit.
Aujourd’hui, on a envie d’être à la reprise mais nous sommes encore abrutis par le gel. Cela nous a pompé beaucoup d’énergie d’autant que l’on avait mis plein de choses en place avant, notamment avec l’embauche d’une commerciale pour nous épauler ma sœur Gaëlle et moi. On commence à avoir des commandes, des restaurants qui demandent de livrer dans 15 jours… On va faire le job, mais à cause du gel, il nous manque la joie. »
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Fabrice Chiffoleau, dirigeant d’Atlantique Boissons Nantes
« En 2020, notre activité a été divisée par deux. Nous travaillons principalement avec les bars, restaurants et boîtes de nuit, le reste de notre activité se fait avec les événements sportifs et musicaux (10 %) et les particuliers (5 %). Depuis le 1er novembre et le 2e confinement, l’impact est important avec une activité réduite de 90 à 95 %. Nous avons tout de même maintenu un petit flux avec l’organisation d’une opération de déstockage auprès des particuliers. Cela a très bien fonctionné avec environ un millier de commandes passées. Aujourd’hui encore, nous avons une quinzaine de particuliers qui viennent sur site à Carquefou pour récupérer leurs commandes.
D’un point de vue économique, nous passons le cap. Notre entreprise était solide et les aides qui ont été mises en place nous permettent de variabiliser un certain nombre de choses dont les charges de personnel avec le chômage partiel. Nous sommes 57 salariés et depuis le début de la crise, il y a toujours eu du personnel en activité, un peu plus sur la 2e phase. Pendant les périodes de fermeture, nous sommes toujours restés en contact avec nos fournisseurs, qu’ils soient vignerons, brasseurs, etc. Nous avons aussi mis en place une cellule de crise pour nos clients pour les aider à faire face à des conditions économiques difficiles. Mais en définitive nous avons été peu sollicités, comme quoi les aides les concernant sont assez conséquentes et ils ont traversé la crise. Les faillites se verront plutôt fin 2021, 2022. On sait pertinemment que, pour certains, le remboursement des aides sera très compliqué. D’ici là, il y aura peut-être des aménagements. On sait aussi que certains ne vont pas rouvrir car ils auront mis à profit la période de fermeture pour vivre de nouvelles expériences. Au niveau du personnel, cela risque d’être compliqué. On estime que 10 % des effectifs auront changé de métier.
Le retour à la normale ne se fera pas avant l’automne, dans le meilleur des cas. Est-ce que les clients seront aussi prêts à revenir à l’intérieur des établissements ? Il y aura peut-être un effet psychologique… Le niveau d’activité 100 % de 2019 est encore loin. Si on le retrouve en 2022 ce sera déjà pas mal. On espère retrouver des niveaux d’activité progressifs. Si on peut continuer à bénéficier du chômage partiel on va s’organiser pour variabiliser notre taux d’effectif ce qui nous permettra de tenir. Mais d’une manière générale, l’activité restera dégradée jusqu’à la fin de l’année. »