Christian Gauthier : « Vers la plus faible récolte de notre histoire »
En avril dernier, le vignoble de Nantes comme l’ensemble de la France, était frappé par un gel dévastateur. Passé le choc, l’heure est maintenant au bilan et à l’élaboration de perspectives pour l’avenir. État sanitaire, prévisions de récolte, aides financières, mesures conjoncturelles ou encore stratégie, entretien avec Christian Gauthier, président de la Fédération des Vins de Nantes.
Deux mois après les fortes gelées, comment la vigne se porte t-elle ?
Il y a deux mois, on se disait qu’il fallait attendre la fin mai pour faire un bilan et évaluer la récolte. Mais le mois de mai a été si mauvais et si froid qu’il est encore difficile de se prononcer. Certains bourgeons n’ont démarré qu’il y a quelques jours. Nous voyons des petites grappes mais elles ne sont pas encore assez développées pour être sûrs qu’elles resteront. Il faudra attendre encore 15 jours, 3 semaines pour y voir plus clair. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura pas de miracle. Les contre-bourgeons ne compenseront pas la perte liée au gel.
« Les dégâts ne sont pas seulement dans les vignes. Moralement, certains vignerons sont très touchés. »
Un inventaire précis des dégâts a t-il été réalisé ?
Nous avons effectué un recensement avec l’appui des délégués de sections. Les retours nous permettent d’envisager une récolte à 20, 25 % d’une récolte « normale » en Muscadet. Ce sera la plus faible récolte de notre histoire, plus basse encore qu’en 1991, sachant qu’à l’époque nous avions 12 000 hectares en Muscadet. Nous notons par ailleurs des disparités selon les secteurs, voire même au sein de certaines communes et de certaines parcelles. Celles taillées plus tardivement s’en sortent un peu mieux. Globalement, des vignes seront à moins de 5 hl/ha, d’autres, pour les plus belles, aux alentours de 20 hl/ha. Mais les dégâts ne sont pas seulement dans les vignes. Moralement, certains vignerons sont très touchés. Dans ce contexte, il ne faut pas se replier sur soi et maintenir un contact, que ce soit avec les voisins ou avec la Fédération. Il faut continuer de se voir, d’échanger, de partager et ne pas sombrer dans la morosité.
Une commission d’enquête « gel » s’est déplacée dans le vignoble le 3 juin. Quel est son rôle ?
Cette commission était composée de représentants de la Fédération des Vins de Nantes, du Syndicat des Vignerons Indépendants Nantais, de la Chambre d’agriculture, de la Direction départementale des territoires et de la mer et des services fiscaux. Le but de cette visite de terrain était, pour les services de l’État, de constater le sinistre. Nous avons balayé le vignoble y compris dans des secteurs habituellement non gélifs. Une cartographie du vignoble sera réalisée. Nous leur transmettrons également les résultats du recensement que nous avons effectué. A partir de ces documents sera établi un pourcentage des pertes par commune en vue du déclenchement des aides.
Justement, quels sont les différents dispositifs de soutien mis en place ou envisagés ?
Le premier est une aide d’urgence de 20 millions d’euros débloquée par l’État. Au niveau départemental, le Préfet dispose d’une enveloppe de 208 000 € pour la viticulture et l’arboriculture. Ces aides iront jusqu’à 4 000 € par exploitation et seront prioritairement versées aux jeunes agriculteurs installés depuis moins de 5 ans. La procédure est actuellement ouverte et le sera jusqu’au 15 juin. Que ceux qui sont concernés n’hésitent pas à déposer une demande. Nous allons par ailleurs demander une exonération de la taxe sur le foncier non bâti ainsi qu’une exonération des charges sociales pour le premier semestre 2022. Une demande de dérogation pour l’achat de vendanges a par ailleurs été envoyée même s’il sera difficile de trouver des vendanges ou des moûts cette année. Enfin, nous avons une petite lueur d’espoir concernant une aide exceptionnelle de l’État. La viticulture ne peut accéder au régime de calamité agricole, les aléas climatiques étant un risque assurable, mais un fonds spécial et exceptionnel pourrait être mis en place pour compenser les pertes. Cette aide serait basée sur un pourcentage de perte de récolte supérieur à 13 % et cela permettrait de soulager les trésoreries. Mais nous restons prudents, rien n’a encore été validé.
Le gel est un risque assurable mais combien d’exploitations sont assurées dans le vignoble ? Sur ce volet assurantiel, des évolutions sont-elles attendues ?
Dans notre vignoble, très peu d’exploitations sont effectivement assurées, à peine 30 %. Celles qui le sont ont reçu la visite des experts dans les 15 jours qui ont suivi le gel afin de constater les bourgeons grillés. Une 2e visite est prévue avant les vendanges pour estimer le montant de l’indemnisation qui sera versée une fois la déclaration de récolte effectuée. L’évolution que l’on peut attendre, c’est une généralisation de cette assurance. Le dossier est actuellement dans les mains de la CVVL. Concernant le mode de calcul, la plupart des assureurs se basent sur la moyenne olympique des 5 dernières années en enlevant la meilleure et la moins bonne récolte mais l’un d’entre eux a opté cette année pour un calcul sur les 3 dernières années. C’est un système plus avantageux et peut-être une piste d’évolution.
« Le coût de la protection anti-gel ne sera pas valorisé à la vente. »
A défaut d’assurance, les exploitations s’équipent en matériel pour lutter contre le gel. Quel est le bilan de ces différents outils ?
Aujourd’hui peu de surfaces sont couvertes que ce soit par des tours anti-gel, des bougies, l’aspersion ou des fils chauffants. Sur les gelées du mois d’avril, le bilan n’est pas bon, notamment pour les tours. Même celles complétées par des sources de chaleur n’ont pas permis de protéger une surface suffisante. Les gelées ont été très fortes et très longues. Résultat, le coût de la protection ne sera pas valorisé à la vente. En revanche, des systèmes comme l’aspersion et les fils chauffants ont obtenu de bons résultats mais ce sont des investissements très lourds et coûteux même s’il existe toujours des aides à l’investissement dans le cadre du PCAE végétal ou de FranceAgrimer.
Comment voyez-vous les prochains mois en termes de commercialisation ?
Il faut réfléchir aux stocks et à l’approvisionnement des marchés. On sera sans doute un peu courts en volume pour aller à la récolte 2022. La campagne précédente a été impactée par le Covid d’où la mise en place il y a un an d’une distillation de crise. Même si les volumes seront faibles cette année, il ne faut pas la regretter. Il s’agissait d’une mesure d’urgence liée à un contexte particulier et elle a permis à nombreuses exploitations d’avoir de la trésorerie. Ce que l’on peut regretter en revanche, c’est que nous n’ayons pas réalisé davantage de Volume Complémentaire Individuel (VCI) sur la récolte 2020 qui était une bonne récolte. Seulement 5 800 hl ont été mis en VCI, c’est peu d’autant que depuis quelques mois les ventes sont en augmentation.
Envisagez-vous des modifications de cahier des charges pour passer le cap 2021?
L’INAO nous a contacté pour nous informer que des modifications temporaires étaient possibles. Nous avons interrogé les vignerons sur cette question et l’un de leur souhait porte sur un décalage de la date d’embouteillage des Muscadets sur lie. D’autres pistes sont également en discussion.
Depuis plusieurs mois, la Fédération des Vins de Nantes et le Syndicat des Vignerons Indépendants travaillent à l’élaboration d’un projet stratégique pour les Vins de Nantes. Où en êtes-vous sur ce dossier ?
Nous avons réalisé une enquête auprès des consommateurs qui a révélé leur attrait pour le Muscadet. Ils reconnaissent sa qualité et situent bien géographiquement l’AOC. En revanche, ils sont perdus entre les différentes appellations et ne connaissent pas la mention « sur lie ». L’idée serait donc de simplifier la hiérarchie du Muscadet. Récemment nous avons également réalisé une enquête auprès des vignerons. Nous en livrerons prochainement les résultats mais selon leurs retours, cinq dossiers ont été identifiés comme majeurs : la communication, les crus du Muscadet, l’accompagnement des jeunes, la création de nouveaux débouchés et la simplification de la gamme. Nous poursuivons donc le travail sur ce sujet en espérant pouvoir reprendre rapidement nos rencontres en présentiel. L’objectif étant d’aboutir à un plan stratégique pour la récolte 2022.