Recherche tractoriste désespérément
Conducteur de tracteur enjambeur, un métier pour lequel les candidats se font de plus en plus rares. Et pourtant, le besoin en main d’œuvre qualifiée n’a jamais été aussi fort en viticulture. Engagées dans un changement de pratiques, de nombreuses exploitations sont à la recherche de salariés polyvalents. Mais ces derniers manquent et le phénomène n’est pas nouveau. Pour attirer les candidats, les acteurs de la filière se mobilisent et s’adaptent. Les domaines aussi. Quitte à accueillir des débutants et à les former.
« Avec les évolutions de réglementation et les attentes des consommateurs, nous vignerons, allons tous dans le même sens. Il faut passer plus d’heures sur le tracteur pour travailler les sols. Il faut aussi monter les outils, les régler, etc., mais on n’a personne pour le faire. On est incapable de continuer à travailler comme ça ! » Comme d’autres vignerons de Nantes, Thierry Martin subit le manque de personnel qualifié pour le travail dans les vignes. Après le départ de ses deux salariés, l’un à la retraite, l’autre vers un autre métier, le producteur gorgeois a pourtant rapidement trouvé des remplaçants. « Mais ils sont tous les deux en apprentissage du métier. Ils n’ont pas assez d’expérience et on est un peu courts pour certaines tâches. Je n’ai pas la polyvalence que j’avais auparavant et nous allons peut-être devoir réduire la surface travaillée mécaniquement… »
Ce constat et cette situation sont largement partagés dans le vignoble mais plus généralement dans le monde agricole. Selon les données du recensement agricole 2020, le nombre d’exploitations, toutes productions confondues, diminue en Pays de la Loire, mais celles-ci s’agrandissent et nécessitent davantage de main d’œuvre salariée. Le secteur viticole est particulièrement concerné. Entre 2014 et 2020, le nombre d’exploitations a baissé de 15 % en Loire-Atlantique mais l’emploi salarié a lui augmenté de 10 %*, passant de 3 287 à 3 628 en 6 ans. Et les perspectives laissent entrevoir un besoin en main d’œuvre toujours croissant. Selon la dernière enquête prospective réalisée par l’ANEFA, la viticulture régionale aura un besoin annuel de 2 418 salariés permanents à horizon 2025 quand celui-ci était de 2 068 lors de la précédente étude à horizon 2020. Les profils recherchés sont à 80 % des ouvriers viticoles qualifiés, polyvalents vigne et chai, et des ouvriers viticoles hautement qualifiés.
Les reconversions professionnelles en plein essor
Au lycée de Briacé au Landreau, près d’une trentaine d’élèves sortent chaque année avec un BTS viti-oeno en poche. A Charles-Peguy à Gorges, ils sont également une quarantaine à suivre le BTS technino-commercial vins, bières et spiritueux, à temps plein ou en alternance. Que ce soit pour la production ou le commerce, la filière viticole attire. « Les profils sont variés, aussi bien des filles que des garçons. En alternance, nous accueillons des jeunes entre 18 et 29 ans avec des parcours de formation différents et des expériences professionnelles différentes. L’un était en école de kiné, un autre était boulanger. En revanche nous avons assez peu d’enfants de viticulteurs », indique Florence Hommet, responsable de l’unité de formation en apprentissage à Charles Peguy. Mais à l’issue de leur formation, peu décident de travailler dans un domaine viticole. « Ils sont confrontés à l’univers de la production de par les stages qu’ils effectuent mais ils s’orientent souvent vers le métier de caviste, très porteur actuellement. Soit ils montent leur propre structure, brasserie ou cave, soit ils sont salariés chez un caviste ou travaillent en grande distribution. De temps en temps on a une installation en viticulture à la suite des parents », explique René Tessard, adjoint de direction à Charles Peguy.
A Briacé, si les effectifs restent stables en BTS viti-oeno, ils ne cessent de chuter en BAC pro viti. Seulement 7 élèves ont été accueillis en septembre dernier. « Le métier ne fait pas rêver les adolescents », concède Mickaël Arnoux, coordinateur technique viticole du lycée. « A l’inverse, nous avons de plus en plus de demandes en formation pour adultes. Ce sont des gens qui ont commencé leur carrière ailleurs et qui ont une sensibilité pour la viticulture. On avait pas mal de personnes issues de l’hôtellerie-restauration et depuis 2, 3 ans ce sont des gens qui viennent du milieu médical. Mais ils anticipent leur reconversion. On n’arrive pas à attirer ceux qui sont en recherche d’emploi. Il y a quelques mois on aurait dû ouvrir un module POEC agent viticole (préparation opérationnelle à l’emploi collective) et nous n’avons pas pu faute de candidats. »
Formation à la carte
Pour répondre à cette demande d’actifs en reconversion, mais également à celle des vignerons, le lycée de Briacé lance ce mois-ci une nouvelle formation : un CAP Métiers de l’agriculture spécialisation production viticole. Celui-ci comprend 3 modules, un général et deux pratiques sur l’entretien des vignes et les travaux de la cave. « Ce CAP se déroule sur un peu moins d’un an, en alternance. Il est ouvert aux demandeurs d’emploi mais aussi à des salariés qui ont besoin de monter en compétences. Ils peuvent alors choisir de ne suivre qu’un seul module afin d’obtenir une attestation de compétences », précise Mickaël Arnoux. Pratique de la taille, initiation à la conduite et à l’entretien des tracteurs enjambeurs, entretien et protection de la vigne, vendanges, etc., cette formation couvre l’ensemble du cycle végétatif puis des travaux de cave. Elle est ainsi plus poussée que celle délivrée jusqu’à présent par le GEIQ, le groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification.
Créé il y a 5 ans en Loire-Atlantique, le GEIQ accompagne chaque année une quinzaine de personnes vers les métiers agricoles dont la moitié en viticulture. « C’est une formation en alternance mais avec 80 % du temps passé en entreprise. Les modules de formation suivis, en partenariat avec Briacé, sont fonction des besoins de l’exploitant », explique Vincent Tallier, du GEIQ Agriqualif de Loire-Atlantique. Cela va de la taille à l’entretien du sol en passant par l’hygiène de la cave ou la vinification. « La bonne formule », pour Leslie Lamaril. A 37 ans, elle vient de trouver sa voie après un diplôme d’ingénieur textile puis 7 années dans l’hôtellerie restauration. « J’ai deux Bac+5 et je n’avais pas du tout envie de retourner à l’école ! J’ai passé 2 à 3 jours par mois au lycée pour apprendre les bases et le reste, je l’ai appris en entreprise. » C’est le cas notamment pour la conduite de tracteur. « Avec le Covid, le module consacré à la conduite a été annulé. C’est mon patron qui m’a formé. Au début cela fait un peu peur mais ça s’apprend et aujourd’hui je fais tout ! » Elle a depuis été embauchée en CDI et envisage de s’associer avec son employeur actuel, dans un objectif de transmission. « Environ 70 % des personnes restent chez l’adhérent », précise d’ailleurs Vincent Tallier, preuve de la réussite du dispositif. « Mais il nous reste encore à le faire connaître auprès des vignerons. Quand on leur présente, ils comprennent vite son utilité et sa pertinence. » L’entreprise ne paye en effet que l’adhésion au groupement, de 35 € HT par an, et la facture des heures passées par le salarié sur l’exploitation.
Rien ne vaut l’expérience terrain
La simplicité et la modularité, c’est aussi la marque de fabrique du groupement d’employeurs Valore. Implanté à Clisson, il compte aujourd’hui 72 adhérents, 45 de plus qu’en 2014, année de sa création, et emploie 58 personnes. « Nous avons quelques postes de fonction support à temps partagé mais les salariés travaillent surtout à l’entretien des vignes : taille, ébourgeonnage, traitements, etc. On a surtout une grosse demande sur la conduite d’engins, mais nous avons du mal à la satisfaire », précise Carine Sartori, directrice de Valore. Pour tenter d’y répondre, le groupement a mis en place des formations en interne chez ses adhérents. « Cela prend du temps », reconnaît la directrice pour qui cette option est la plus simple à l’heure actuelle.
A Vertou, c’est aussi « en interne », que Martin, 30 ans, a appris à conduire un enjambeur. « Je n’avais jamais conduit de tracteur de ma vie, mais plus on pratique, plus on est à l’aise ! ». Après avoir travaillé 4 ans dans les relations internationales, la politique et au CNRS, il s’est reconverti à la viticulture par passion. « J’ai suivi une formation d’un an de technicien viticulture œnologie axée sur la bio et la biodynamie. Je me suis formé chez Eric Chevalier puis j’ai rencontré Vincent Barbier chez qui j’ai pu finir mon apprentissage. » Depuis, il a été embauché en CDI au domaine des Trois Toits, ce qui n’était pas dans les plans à court terme de son employeur, Vincent Barbier. « En 2020, avec le Covid, on a pris la décision de convertir le domaine en bio, ce qui a accéléré nos besoins en main d’œuvre ». Désormais ils sont 4 à travailler au domaine et les sollicitations ne manquent pas. « On reçoit beaucoup de demandes de jeunes, pour l’alternance notamment, mais aussi de personnes en reconversion. De ce point de vue, la viticulture a le vent en poupe. Mais on voit aussi que ces personnes sont attirées par des projets porteurs de sens à leur yeux. » Le vigneron n’occulte pas la question du salaire, l’une des clés d’un processus de recrutement. « Sur ce sujet, les candidats sont en position de force », reconnaît-il.
Positivité = attractivité ?
Le vignoble de Nantes n’est pas le seul à être confronté à la pénurie de personnel. Depuis 5 ans, nos voisins de l’Anjou-Saumur travaillent à la promotion de la viticulture et l’une des actions mises en œuvre est la réalisation d’un spot publicitaire. « L’objectif était de promouvoir nos métiers auprès des jeunes en cours de réflexion sur leur orientation. Le public visé, ce sont les collégiens de 4e et 3e et leurs parents. Il fallait donc un spot assez court, qui montre un métier moderne, dynamique, qui permet de voyager, en clair qui leur vend du rêve », explique Gaëlle Lihard, de la Fédération viticole de l’Anjou et de Saumur. Deux versions du spot, l’une de 30 secondes, l’autre d’une minute, ont été réalisées en vue d’une diffusion dans les salles de cinéma du Maine-et-Loire et sur les réseaux sociaux. Montant de l’opération : 65 000 € pour la production et la diffusion, financés par la Fédération, l’interprofession et divers partenariats. « Cette opération était prévue sur 3 ans. La première année, nous avons enregistré 455 000 vues avec une diffusion dans les cinémas de décembre 2019 à début janvier 2020. En 2021, avec la fermeture des cinémas, le spot n’a été diffusé que sur les réseaux sociaux. Et cette année, nous avons repris les cinémas et nous diffuserons plus tard sur les réseaux », poursuit Gaëlle Lihard. Au vu du contexte, difficile donc de mesurer les retombées. « Mais ce spot n’est qu’un outil parmi d’autres. L’un des aspects sur lesquels nous travaillons depuis longtemps avec les acteurs de la filière, c’est la présentation positive de la viticulture. Il ne faut pas se plaindre dans la presse, les médias. Cela a un effet pervers car les gens retiennent qu’il ne faut pas aller vers ce genre de métiers. Et cela est aussi valable au sein de la sphère familiale des vignerons. » Pour rendre la filière attractive auprès des jeunes, des supports de communication ont également réalisés, notamment pour les carrefours des métiers ou les forums de l’emploi. « Nous avons aussi des partenariats, comme avec le Musée de la vigne pour faire la promotion auprès des plus jeunes », ajoute Gaëlle Lihard.
Faire la promotion auprès des jeunes, c’est aussi la mission du lycée de Briacé qui multiplie les actions sur les réseaux sociaux mais aussi lors des salons pour les étudiants. « Nous avons aussi mis en place des demi-journées d’immersion pour les collégiens. On propose aux écoles du secteur de venir découvrir les métiers. On communique sur le fait que nos formations ouvrent à différents métiers, pas seulement à la production », explique Mickaël Arnoux. « De jeunes vignerons ont également rejoint le conseil administration de l’établissement. Avec eux, on travaille sur l’avenir et les moyens d’attirer la jeunesse. » Une jeunesse de plus en plus volatile et versatile. « Il faut accepter qu’un salarié arrête du jour au lendemain et change de branche. C’est déstabilisant mais il faut aujourd’hui accepter cette mobilité, tout comme il faut accepter d’avoir des candidats avec moins d’expérience professionnelle », admet Vincent Barbier. Et le vigneron de mettre en avant les points forts de notre vignoble : la proximité avec la ville de Nantes, le littoral et surtout le plus grand vignoble monocépage blanc de France. Autant d’atouts à mettre en avant dans vos prochains offres d’emplois.
* Observatoire de l’emploi salarié Janvier 2022.