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L’étiquette, reflet de l’identité des domaines

C’est la première chose que l’on voit sur une bouteille. Blanche ou colorée, avec dorures ou en relief, chargée ou épurée, l’étiquette d’un vin doit donner en quelques secondes les informations principales au consommateur. Entre tradition et innovation, ce secteur est en mouvement permanent. Dans le vignoble de Nantes, il est aussi un élément différenciant qui a permis au Muscadet de renouveler son image.

C’est l’un des critères d’achat des consommateurs au rayon vin, mais ce n’est pas le principal. L’étiquette d’un vin, si belle soit elle, n’est en effet pas une priorité au moment de l’achat. Selon une récente étude menée par Wine Intelligence (février 2021) sur le marché français, le design de l’étiquette n’arrive même qu’en 15e position, loin derrière la région de production, le signe de qualité et le prix. Il n’est qu’un critère de choix que pour 6 % des sondés et cette proportion est stable depuis 2017. Le dernier baromètre SoWine Dynata confirme d’ailleurs cette donnée, l’esthétisme du packaging ne figurant pas parmi les critères d’achats principaux. Sylvain Dadé, directeur associé de SoWine, nuance toutefois l’affirmation : « Les premiers critères que sont la région, le pays d’origine, l’appellation, le cépage et les qualités gustatives affichées sont consubstantiellement rattachés à l’étiquette ou au packaging du vin. » La mise en avant de l’appellation Muscadet ou de l’origine France sur l’étiquette va en effet influer dans la décision de l’acheteur, encore plus avec un graphisme attrayant.

Un cadre réglementaire strict
Élément d’importance pour le consommateur, l’origine du vin doit obligatoire figurer sur l’étiquette. Si les vins sans indication géographique se contentent de la mention « Vin de France », les mentions obligatoires sont plus nombreuses pour les AOP ou les IGP : dénomination de vente, titre alcoolémique volumique acquis, volume nominal, provenance, informations relatives à l’embouteilleur, présence d’allergènes détectables (notamment pour les sulfites s’ils sont supérieurs à 10 mg/l), numéro de lot et bien sûr les messages sanitaires comme le logo femme enceinte. D’autres mentions comme le millésime et le cépage peuvent également être indiquées sur l’étiquette ou la contre-étiquette, cette dernière étant aujourd’hui de plus en plus chargée en informations pour plus de lisibilité de l’étiquette principale.
Parallèlement à ces règles communes, d’autres peuvent être imposées par le cahier des charges des appellations. C’est le cas en Muscadet avec la mention sur lie. Les dimensions des caractères de la mention et de la dénomination géographique Val de Loire doivent en effet être « inférieures ou égales, aussi bien en hauteur qu’en largeur ou en épaisseur, à celles des caractères composant le nom de l’appellation d’origine contrôlée ». Le cahier des charges stipule également que les vins sur lie et les Dénominations géographiques complémentaires doivent présenter l’indication du millésime. Il précise par ailleurs les règles concernant l’usage de clos ou de lieu-dit. « Il arrive que des vignerons nous appellent quand ils ont un doute, ou que nous les contactions pour leur signaler des erreurs. Mais globalement les règles sont bien respectées », note Romain Mayet, ingénieur à la Fédération des Vins de Nantes. Souvent, ce sont les crus communaux, et particulièrement ceux en cours de reconnaissance, qui font l’objet d’erreurs ou plutôt d’appréciations différentes. « Les démarches en cours de reconnaissance n’ont théoriquement pas le droit d’indiquer le nom de la DGC sur l’étiquette. D’un autre côté, elles ont besoin de notoriété pour être reconnues. C’est la quadrature du cercle. A ses débuts, le cru Gorges avait utilisé le terme « Gorgeois » pour couper l’herbe sous le pied du législateur », explique Romain Mayet qui admet une certaine tolérance en la matière, « même si la Direccte aurait le droit de siffler la fin de la récré. »

Pour gagner en notoriété, les démarches de cru en cours de reconnaissance n’hésitent pas à utiliser le nom de la future DGC en contre-étiquette en position faciale de la bouteille.

L’étiquette, déclinaison de l’univers de marque
Une fois les règles établies, connues et appliquées, les vignerons ont toute liberté dans la création de leurs étiquettes. Certains décident de s’en occuper par eux-mêmes mais la plupart font appel à un prestataire, imprimeur, graphiste ou agence marketing. Installée à Saint-Hilaire-de-Clisson, Clara Chagneau travaille depuis deux ans pour des domaines viticoles. Graphiste et illustratrice, elle est de plus en plus sollicitée pour de la création d’étiquettes, notamment grâce aux réseaux sociaux comme TikTok. « Pour certains, c’est un monde effrayant et ils me laissent alors carte blanche. D’autres ont des idées bien précises. Cela varie d’un projet à un autre. Mon rôle est de prendre le temps d’échanger avec eux, voir ce qu’ils veulent faire ressortir ou s’ils veulent partir sur quelque chose de plus abstrait. » A Nantes, l’agence Minéral est elle spécialisée dans le conseil stratégique et le webmarketing mais accompagne aussi les domaines dans la réalisation d’étiquettes. « Ce n’est pas notre cœur de métier », concède Quentin de Molliens, son directeur. « Mais les étiquettes sont l’un des piliers du marketing du vin et un gros levier de vente, quelque soit le canal de distribution. On conseille donc les domaines afin que leurs étiquettes soient liées à leur univers de marque, celui-ci racontant une histoire liée au terroir, au vigneron ou à un univers bien défini. » Ce travail, François Ménard, vigneron à Monnières, l’a réalisé en 2019 à son retour au domaine familial. « J’ai eu l’envie d’apporter ma touche personnelle avec de nouvelles cuvées parcellaires. Mais je ne voulais pas non plus perturber la clientèle existante. On a donc décidé de créer une nouvelle marque, à mon nom, avec un positionnement prix différent. Nous avons fait une grosse recherche sur le nom, l’identité visuelle. Il s’est passé près d’un an entre le début de la démarche et la naissance de la gamme Inspirations. » Cette gamme compte aujourd’hui 3 cuvées, toutes avec la même identité marquée par l’empreinte du terroir. Elle dispose également d’une page web dédiée, rattachée à celle du domaine. « Au-delà d’avoir une étiquette lisible, il faut avoir en tête cette logique de présentation, notamment sur le digital. Cela veut dire faire des photos des bouteilles en studio mais aussi communiquer sur les réseaux sociaux », précise Quentin de Molliens. Tout cela à un coût, mais François Ménard ne regrette rien. « Ce n’est pas une charge, c’est un investissement. Il faut se démarquer car le client achète avec ses yeux et consomme moins qu’avant. Fred Niger m’a dit un jour qu’une bouteille de vin finit la décoration de la table. Il a raison ! Oui c’est un poste de dépenses mais le coût et notamment celui des finitions a été répercuté sur mon prix de vente. Finalement, cela a été vite rentabilisé. » Ses cuvées lui ont par ailleurs permis de toucher de nouveaux clients comme les restaurants étoilés de la région et de faire découvrir d’autres facettes du Muscadet à la clientèle historique du domaine.

Pour sa gamme Inspirations, François Ménard a opté pour des étiquettes simples mais avec des finitions comme la dorure à chaud et un vernis gonflant pour plus de relief.

Entre tradition et modernité
A Vallet, l’entreprise Galard étiquettes est spécialisée dans la conception et l’impression d’étiquettes. Fondée dans les années 30, elle travaille aujourd’hui pour plus de 300 domaines en Loire-Atlantique, Vendée et Maine-et-Loire mais aussi de plus de plus brasseurs. Le marché de la bière, particulièrement dynamique, a d’ailleurs contribué à l’évolution des étiquettes de vin. « Les consommateurs de bières sont un peu plus jeunes et avec des codes différents. Pour les attirer, les brasseurs ont misé sur des visuels percutants », estime Alexandre Calleau, directeur d’usine. Pour Quentin de Molliens, « le monde du vin doit regarder ce qui se fait du côté de la bière ou des crafts spirits, d’autant que les Français consomment aujourd’hui plus de bière que de vin. La bière n’a pas autant de choses à raconter que le vin mais en termes de packaging et de création, il y a des motifs d’inspiration. »

En matière d’étiquettes, les brasseurs rivalisent d’imagination et proposent des visuels colorés, décalés et percutants.

Dans le vignoble, de nombreux domaines ont déjà franchi le pas et opté pour des visuels originaux. Pour Aurore Günther-Chéreau, vigneronne à Saint-Fiacre-sur-Maine, ce sont des rencontres avec des partenaires commerciaux qui ont notamment fait naître de nouvelles cuvées comme les Petits Jupons ou Queue de Morue, deux Muscadets Sèvre et Maine sur lie à l’illustration fantaisiste. « Nous avons étendue notre gamme avec des cuvées d’entrée de gamme qui racontent une histoire mais moins portées sur la tradition. » Pour autant, le domaine n’a pas laissé tomber les étiquettes plus classiques avec dorures et château. « Nous avons fait évoluer les étiquettes au fil du temps. On les a parfois allégé pour les rendre plus lisibles. Mais nous les conservons car elles correspondent à des marchés. A l’export notamment on vend de la France et donc du classique. Et puis nous ne pouvons pas séparer le domaine du Château et de son histoire. Même si l’image du Château fait ancienne, c’est notre identité et on ne peut pas le renier. » Pour la graphiste Clara Chagneau, il n’est d’ailleurs pas question de mettre au placard les étiquettes classiques. « Elles peuvent avoir un côté vintage qui plaît. Il peut même y avoir même un jeu de création pour détourner le visuel assez commun du château et permettre à chaque vigneron d’avoir son identité. »

Au Château du Coing cohabitent étiquettes traditionnelles et originales.

Le contenu et le contenant
Pour la jeune graphiste, outre le visuel, ce sont les finitions qui permettent à une cuvée de se distinguer. « J’aime réfléchir à des visuels sur lesquels on va apporter des finitions avec des dorures, du gaufrage, un vernis, etc. On peut s’amuser et apporter de la matière à un visuel plutôt simple à la base. Mais cela à un coût et le budget doit être discuté dès le départ. » Côté budget justement, il varie de 300 à 600 € pour une création par l’illustratrice. Chez Galard, le coût oscille entre 40 et 90 € pour 1 000 étiquettes en fonction de degré de finition et du type de papier. « Dans ce domaine, le choix est large et c’est notre valeur ajoutée », indique Alexandre Calleau. « Des nouveautés sortent tous les ans, que ce soit avec des papiers résistants à l’eau ou qui changent de couleur en fonction de la température. La problématique actuellement, c’est l’approvisionnement. Le papier vient principalement de Finlande, pays qui, en plus du Covid, a été touché par d’importants mouvements sociaux. Les coûts ont donc fortement augmenté, de 30 à 40 % depuis 18 mois et cela va sans doute continuer au 2e semestre 2022. » A cela s’ajoute aussi le coût de la bouteille car le flacon est indissociable de l’étiquette. Plus contraignante dans son format, la bouteille sur lie est ainsi de plus en plus délaissée au profit de la bouteille bourguignonne. « Pour la gamme Inspiration, il y a eu une vraie réflexion sur le choix de la bouteille », confirme le vigneron François Ménard. « Je voulais une bouteille élégante, agréable à prendre en main, d’où le choix de la bouteille ligérienne. Le champ des possibles en matière d’étiquettes est aussi plus large sur ce type de bouteille. »

L’imprimerie Galard à Vallet imprime 90 millions d’étiquettes par an.

De la réalité augmentée aux NFT
Passées par des évolutions plutôt que par une révolution, les étiquettes de bouteilles restent un support plein d’avenir. La tendance actuelle est celle des étiquettes connectées que l’on scanne via une application sur son smartphone et qui permettent d’avoir des informations sur le producteur. Ces informations restent pour l’instant assez basiques mais certains domaines, notamment dans des vignobles à forte valorisation, ont choisi d’y ajouter du contenu supplémentaire avec de la vidéo. « Nous sommes sollicités par des prestataires lors des salons comme Wine Paris ou Prowein pour réaliser ce type de contenu en réalité augmentée. Pour autant, je ne le vois pas venir chez nous car ce sont des coûts importants et il faut que tout l’univers de marque soit empreint de cette dynamique digitale », explique Quentin de Molliens. Pour le spécialiste en webmarketing, l’avenir se porte plutôt sur les NFT, les Non Fungible Token ou jetons non fongibles. « Les étiquettes deviennent des œuvres d’art avec leur pendant virtuel. Ces créations, virtuelles, se retrouvent ensuite sur des plate-formes spécifiques où elles s’échangent via des cryptomonnaies. » Vous êtes perdus ? Rassurez-vous, rien d’anormal, le monde du vin étant peu présent sur le marché des NFT. Mais cela pourrait changer avec l’annonce de la création d’ici fin 2022 de la plate-forme WineChain.
D’ici quelques années, les plus beaux flacons de Muscadet s’échangeront donc peut-être virtuellement en bitcoin et les cuvées les plus réputées attireront les collectionneurs. D’ici là, et plus terre à terre, ils aborderont peut-être de nouvelles informations comme la composition ou les calories. Faute de place sur la contre-étiquette, un QR Code pourrait bien renvoyer le consommateur vers ces informations. Reste à savoir si ces éléments feront partie de ses critères de choix d’un vin ou si au contraire l’origine restera sa référence principale.