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Le Muscadet réemploie la consigne (Partie 1)

Depuis quelques années, la consigne des bouteilles en verre fait un retour remarqué. A la fois pour des raisons environnementales mais aussi, depuis peu, pour des questions économiques. En Muscadet, le réemploi des bouteilles n’a jamais vraiment disparu mais il est de plus en plus plébiscité. Une filière est même en pleine structuration pour répondre à cette demande croissante.

Sur les étiquettes des bouteilles, un nouveau pictogramme a récemment fait son apparition. En forme d’étoile, il s’accompagne d’un message « Rapportez-moi pour réemploi ». Mis en place par Réseau Consigne, il facilite l’identification des emballages réemployables. Pour Célie Couché, c’est aussi une petite consécration. Depuis 2016, la nantaise milite pour la réutilisation des contenants en verre avec Bout’ à Bout’, une association devenue aujourd’hui une entreprise à part entière. « C’est assez fou de voir l’évolution de la consigne en si peu de temps. Je ne pensais pas que cela irait si vite ! Le contexte environnemental mais aussi le conflit en Ukraine ont aussi montré le nécessité du réemploi. » Après 7 années d’existence, Bout’ à Bout’ fédère aujourd’hui 90 producteurs, de vins, bières, cidres et jus et 220 points de collecte en Pays de la Loire et Région Centre Val de Loire. En 2022, le réseau a collecté 400 000 bouteilles, lavées à Clisson, par Boutin Services, partenaire de l’association mais aussi l’une des dernières entreprises en France à disposer d’une laveuse industrielle.

Boutin Services est l’une des dernières entreprises en France a pratiquer le lavage des bouteilles. C’est à Clisson, zone de Tabari, que le prestataire réceptionne, stocke et lave les bouteilles pour Bout à Bout’ mais aussi pour des vignerons, brasseurs et producteurs de jus de la région.

Des laveuses en voie de disparition
Installée dans l’atelier de lavage, zone de Tabari à Clisson, la vieille laveuse Stone traite aujourd’hui 1,5 millions de flacons par an. L’activité lancée pour Boutin Services en 1994 a connu son apogée en 2008 avec 8 millions de bouteilles lavées. Elle a ensuite diminué au profit des bouteilles neuves mais sans jamais être abandonnée. « J’y ai toujours cru, c’est pour cela qu’on l’a préservé. Mais il y a eu une époque où au moins 8 négociants et 5 prestataires assuraient le lavage des bouteilles, rien que dans le nantais », explique Charles Boutin. Le retour des bouteilles consignées en 2015/2016 a entraîné une reprise de l’activité de lavage, notamment avec Bout’ à Bout’, mais les laveuses ont malgré tout progressivement cessé de fonctionner dans le vignoble. Quelques-unes demeurent cependant, notamment chez des vignerons, principalement des petits modèles. A Saint-Fiacre, une autre laveuse Stone est toujours en service. « Elle a tout juste 50 ans », indique Dominique Martin, son propriétaire. « Mes parents l’ont acheté à un négociant du coin qui s’en séparait. A l’époque, tout le monde lavait ses bouteilles dans le vignoble. On recyclait tout ce qui était possible. » Malgré son âge, elle lave chaque année de 50 à 60 000 bouteilles, soit une grande partie de la production de ce domaine de 35 hectares, orienté à 80 % vers le CHR et 20 % à l’export. « Je m’occupe moi-même des livraisons que je fais uniquement en casiers. Quand je vais livrer en Bretagne, je repars avec des casiers pleins de bouteilles vides. Rentrer à vide n’aurait aucun intérêt. » Au printemps, au moment de la mise, l’ensemble des bouteilles collectées dans l’année et stockées à l’abri passe alors au lavage. L’opération s’étale sur 3 à 4 semaines. « Je les passe au préalable dans une gratteuse pour enlever la capsule, puis dans la laveuse. A deux personnes, on peut laver jusqu’à 1 800 bouteilles à l’heure. » Une mireuse permet ensuite de contrôler que les bouteilles sont prêtes au réemploi, sans défauts, fissures ou résidus d’étiquette. Pour le vigneron, la démarche est naturelle, simple et de bon sens. « Je ne me pose pas la question de continuer ou non, c’est normal. Il y a aussi l’argument économique. Le prix de la bouteille a doublé en un an, sans compter les problèmes d’approvisionnement. L’année dernière, on avait du mal à trouver des bouteilles, la laveuse nous a sauvé la vie ! »

Dominique Martin, vigneron à Saint-Fiacre, lave l’ensemble de ses bouteilles grâce à une laveuse Stone des années 70.

Un enjeu écologique mais aussi économique et marketing
Même si elle n’a jamais été totalement abandonnée, la consigne a progressivement été oubliée dans les années 90, avant de revenir peu à peu depuis 2015, principalement pour des raisons environnementales. Selon les chiffres de l’Ademe, le lavage des bouteilles en verre permet d’économiser 79 % d’énergie, 51 % d’eau et 77 % de gaz à effet de serre comparé à une bouteille neuve. « Ce sont des producteurs engagés écologiquement qui ont permis le lancement du réseau. Mais aujourd’hui le profil change avec des motivations qui sont aussi économiques », explique Charlotte Delpeux, responsable de la communication chez Bout’ à Bout’. « Depuis un an, on voit un élargissement de la typologie des demandes entrantes », confirme Célie Couché. « L’aspect marketing entre aussi en jeu. La consigne répond à une demande des consommateurs et la loi évolue dans ce sens. » La loi anti-gaspillage entrée en vigueur en février 2020 fixe en effet des objectifs en matière d’emballages réemployables. Ils prévoient d’atteindre 5 % d’emballages réemployées mis sur le marché en France en 2023, et 10 % en 2027. Mais ces objectifs sont sans contraintes pour les industriels qui sont libres de s’engager ou non dans cette voie.

C’est ce logo qui indique au consommateur que la bouteille de bière, vin ou jus est lavable et réemployable.

Si la réglementation fait doucement évoluer le réemploi, l’inflation et les difficultés d’approvisionnement en bouteilles accélèrent la demande. En un an, le prix de la bouteille neuve a presque doublé dépassant les 40 cts, quand le lavage coûte lui entre 15 et 20 cts par bouteille. En cause : le Covid, le conflit en Ukraine et la hausse des coûts de l’énergie qui ont entraîné une baisse de la production chez les verriers mais aussi la forte de demande en contenants en verre liée à l’abandon du plastique par certains industriels. Pour Boutin Services, cette crise verrière s’est matérialisée par une baisse des approvisionnements en 2022 et des livraisons aléatoires. « La situation tend aujourd’hui à s’améliorer mais nos fournisseurs verriers devraient nous livrer cette année 19 millions de bouteilles et pas une de plus », explique Charles Boutin. Conséquence : depuis le début de l’année, les demandes de lavages explosent. « Sur janvier-février, on est à +170 % de demandes et on ne répond pas à toutes. On a des demandes de partout en France, du Sud, etc. Pour nous, cela doit rester un circuit court. » Face à cette demande croissante, l’entreprise a choisi d’investir dans de nouveaux équipements, et ce n’est pas la seule.

Investissements massifs en cours
En mai, l’heure de la retraite sonnera pour la vieille laveuse de Boutin Services. Après des dizaines d’années d’activité, elle sera mise au rebut et remplacée par une toute nouvelle machine venue d’Allemagne, l’un des pays d’Europe les plus en pointe sur la consigne. « Nous allons installer une nouvelle ligne qui sera opérationnelle en juillet », explique Franck Dabin, directeur de l’unité de lavage. « Il y aura une rampe d’aspersion en début de ligne pour humidifier les étiquettes et faciliter le décollement, puis une gratteuse et une décapsuleuse. La laveuse, plus performante, permettra d’économiser 6 fois plus d’eau. On va passer d’1,2 litres par lavage à 20 cl. Elle dispose également d’une assécheuse mais nous avons fait le choix d’en ajouter une seconde en sortie pour éviter toute goutte d’eau. Enfin, une nouvelle mireuse sera également installée. Aujourd’hui, cette opération est manuelle à raison de 1 800 bouteilles/heure. Demain, la machine pourra traiter 6 000 bouteilles/heure, enregistrera tous les défauts dans une base de données et écartera les bouteilles défectueuses ou ayant besoin d’être relavées. » Pour l’entreprise familiale, ce nouvel équipement représente un investissement de près de 900 000 € pour un objectif de 4,5 millions de bouteilles lavées d’ici 3 à 4 ans.

Dans quelques semaines, la laveuse de Boutin Services sera remplacée par une machine flambant neuve et équipée d’une assécheuse et d’une nouvelle mireuse.

Bout’ à Bout’ aussi a fait le choix d’investir et c’est à Carquefou qu’elle installe actuellement sa future usine de lavage. Un investissement de 3 millions d’euros, financé en partie par des levées de fonds, qui prévoit l’installation d’une ligne capable de traiter 15 à 20 millions de bouteilles par an dès son ouverture puis 60 millions à terme. « L’inspection sera renforcée pour garantir l’intégrité physique de chacune des bouteilles. Une salle blanche est également prévue afin d’aseptiser les contenants et de répondre aux exigences de la Norme IFS ». Ce référentiel, international, évalue la conformité des processus en matière de sécurité et de qualité des produits alimentaires. En 2024, Bout’ à Bout prévoit par ailleurs l’installation d’une nouvelle machine de traçabilité des bouteilles. « Elle sera en mesure d’évaluer le cycle d’une bouteille à partir de son degré d’usure », précise Célie Couché. Celui-ci est aujourd’hui estimé à 20 lavages, parfois plus selon le poids et la qualité de la bouteille. C’est d’ailleurs l’un des points essentiels de la consigne et du réemploi. Type de bouteilles, choix d’étiquettes, d’adhésifs, il existe un cahier des charges spécifique au réemploi. Le prochain grand format prévu en mai, reviendra sur les critères à respecter par les producteurs mais aussi sur la collecte et la redistribution des bouteilles, autre maillon fondamental de la consigne et de sa réussite.

C’est à Carquefou que Bout’ à Bout’ installe sa future usine de lavage dont la mise en service est prévue d’ici la fin de l’été.