Le Muscadet réemploie la consigne (partie 2)
Suite et fin de notre grand format consacré au réemploi des bouteilles en verre. En croissance depuis quelques années, la démarche ne consiste pas seulement à laver les flacons et à les remettre sur le marché. Les producteurs engagés dans la filière doivent en effet respecter un cahier des charges et cela nécessite souvent un temps d’adaptation. Au bout de la chaîne, il faut aussi organiser la collecte des contenants vides et pour l’heure, elle ne s’appuie que sur des initiatives privées.
Une évidence. Pour Émeline Bergeron et Jérôme Dumanois, vignerons à Vallet, le réemploi des bouteilles a toujours été un objectif, dès leur installation en 2015. « La principale raison était écologique. On ne voulait pas jeter nos bouteilles ! » Mais la réalité les a vite rattrapés et il leur a fallu presque 6 ans avant de lancer le process explique Émeline. « Je me suis beaucoup renseignée, j’ai lu les études publiées sur le sujet. Il y a quelques années, c’était plus écologique de jeter pour recycler que de laver les bouteilles. Et puis il y a deux ans, il y a eu de nouvelles études et ça a fait tilt. Si on travaille localement, avec les mêmes standards de bouteilles, alors oui, cela devient écologique. » Pendant deux ans, le couple a été accompagné par Bout’ à Bout’ pour identifier le type de bouteille adapté et les étiquettes idéales. « On était partis sur un papier couché lavable mais ça n’allait pas. On a fait plusieurs tests. Depuis 6, 8 mois, nous avons enfin les bonnes bouteilles et les bonnes étiquettes pour le lavage. » Pour l’ensemble de sa gamme, le domaine a opté pour des bouteilles bourguignonnes lourdes. Tout comme Dominique Martin, vigneron à Saint-Fiacre qui n’utilise que des bourguignonnes teintées et blanches. Pour autant, ce ne sont pas les seuls modèles destinés au lavage et donc au réemploi. « Pour être lavables, la bouteille doit avoir un poids minimum de 450/500 gr pour 75 cl et respecter des mesures : entre 23 et 33 cm de haut, et de 49 à 93 mm de diamètre », précise Franck Dabin, directeur de l’unité de lavage de Boutin Services à Clisson. Les bouteilles sur lie mais aussi celles destinées aux vins effervescents peuvent aussi être lavées. Un lavage uniquement à façon pour ces bouteilles chez Bout’ à Bout’ qui, pour son réseau, a choisi de limiter les références. « Nous en proposons 4 : deux bourguignonnes et deux bordelaises, teintées et blanches. Ces formats standardisés simplifient la massification et la logistique », explique Célie Couché, sa fondatrice.
Le respect de l’étiquette
Si le type de bouteille est primordial dans le réemploi, celui de l’étiquette et de l’adhésif le sont tout autant. Un papier brillant, avec des vernis, des dorures sera ainsi beaucoup plus difficile à laver qu’une étiquette épurée avec un papier rustique. « On a aussi des problèmes avec les macarons des concours, très difficiles à décoller. L’idéal, ce sont des étiquettes avec une colle hydrosoluble. Les imprimeurs l’ont d’ailleurs bien compris et viennent aujourd’hui vers nous avec des produits adaptés au lavage », indique Franck Dabin. Chez Boutin Services comme chez Bout’ à Bout’, des tests sont effectués avant toute première prestation de lavage. Un accompagnement technique plus poussé chez Bout’ à Bout ‘ pour les entreprises qui rejoignent le réseau, moyennant une adhésion annuelle. L’entreprise met ainsi en avant l’accès à des stocks de surplus de bouteilles, au réseau mutualisé de collecte et à une communication chez les distributeurs. Elle compte à ce jour 90 producteurs partenaires en Pays de la Loire.
La collecte, clé de la réussite de la consigne
A Saint-Fiacre, Dominique Martin a fait du circuit-court son credo ou presque. S’il est présent à l’export, le CHR demeure son marché principal et les bouteilles qu’il livre en direct, notamment en Bretagne, sont récupérées par ses soins à la livraison suivante. « J’apporte un service, ils n’ont pas besoin d’aller au verre, ni de carton à jeter puisque je livre en casier. Mais je reconnais que j’en récupère moins. Les gens sont habitués à jeter, c’est d’une telle simplicité ! Et puis on est quasi les seuls à fonctionner ainsi. » A Vallet, Émeline Bergeron commence elle aussi à convaincre ses clients restaurateurs de garder ses bouteilles vides. « L’un d’entre eux à Nantes a pris le pli. Quand je vais livrer, ils me rendent les bouteilles vides en carton. Si tous les cavistes et restaurateurs fonctionnaient ainsi, la consigne se développerait plus vite ! » Au domaine, la vigneronne met également de côté toutes les bouteilles vides consommées. « Cela m’a pris un an pour faire une palette. J’ai fait le premier lavage en mars chez Boutin. Cela m’a permis de gagner 200 €. Sur de gros volumes, le gain peut être très intéressant. » Du côté de Boutin Services, la collecte fait justement partie des axes de développement, en lien avec la mise en service de la nouvelle laveuse d’ici l’été. « Nous travaillons actuellement sur des moyens innovants pour faciliter et organiser la collecte des bouteilles vides. Nous envisageons notamment de distribuer des casiers Boutin pour aider nos clients à collecter les bouteilles vides », indique William Boutin, chargé d’affaires au sein de l’entreprise familiale. Actuellement, celle-ci ne réalise pas la massification mais pourrait le faire à terme. « Nous explorons cette possibilité car nous faisons déjà de nombreux passages chez nos clients pour récupérer les cartons et les plastiques à destination du recyclage. »
Le retour des automates en magasin…
Historiquement présent en Loire-Atlantique, Bout’ à Bout’ s’appuie de son côté sur 220 points de vente et de collecte en Pays de la Loire. Cavistes, magasins bio, épiceries, etc., récupèrent les bouteilles vides, stockées en casiers, récupérées ensuite par des structures d’insertion ou des grossistes en boissons. En début d’année, l’entreprise a également lancé une expérimentation dans deux supermarchés, à La Chapelle-sur-Erdre et Carquefou, en installant des automates de récupération. Le principe est simple : le client scanne le code barre de la bouteille portant le logo du réemploi, la pose à plat dans la machine qui la stocke dans un benne pouvant contenir 350 flacons, et reçoit en échange un bon d’achat de 2cts, financé par Bout’ à Bout’ et valable dans le supermarché. En trois mois, le nombre de bouteilles récupérées a été multiplié par 7, dépassant les 500 bouteilles collectées en mars. Seulement, pour l’instant, ce sont principalement des bouteilles de jus qui sont rapportées par les clients. « Nous n’avons pas encore eu de bouteilles de vin mais c’est en projet. On sensibilise chacun de nos producteurs à la consigne. On travaille en direct avec 8 producteurs du Muscadet, il y a quelque chose à faire », souligne Yoann Ravard, directeur du Super U de Carquefou. Dans son magasin, pour encourager la consigne, une communication spécifique a été mise en place avec de l’affichage en rayon et des autocollants Bout’ à Bout’ sur les bouteilles réemployables. Mais Yoann Ravard mise aussi beaucoup sur le drive. « On passe 1 100 caddies par semaine au drive et 1 sur 3 compte au moins une bouteille de jus en verre. On va donc proposer aux clients de récupérer leurs bouteilles vides, toujours en échange d’un bon d’achat. » La gratification est selon lui indispensable à la réussite de la consigne. « On le voit pour les bouteilles plastiques. On est à 800 bouteilles par semaine, principalement apportées par des comités d’entreprise. Ça leur fait un budget pour acheter de l’alimentaire et des boissons. »
… et de la tournée du laitier
Depuis quelques mois, les entreprises de collecte des contenants en verre sont également en plein essor. Le Fourgon a notamment connu une croissance fulgurante. Fondée il y a 2 ans à Lille, l’entreprise est aujourd’hui présente dans 16 villes en France dont Nantes, où l’entrepôt basé aux Sorinières travaille en partenariat avec Bout’ à Bout’. Le concept : celui de la tournée du laitier. « Le client choisit des bouteilles de jus, lait, bière ou vin sur notre site et est livré gratuitement chez lui en fourgon électrique. A la livraison suivante, on récupère les bouteilles vides en casier et le client sa consigne qui va de 10 à 20 cts selon le contenant », explique Louise Motte, responsable marketing. Sur la partie vin, le Fourgon s’est fixé l’objectif de proposer une centaine de références de toute la France. Des vins que la société achète et revend « comme un distributeur classique », explique Diane Toutlemonde, responsable de l’offre vin. « Nous nous positionnons entre le caviste et la grande distribution, avec des prix compris entre 5 et 15 € la bouteille. Ce sont des vins de consommation rapide, nous n’avons pas de vin de garde. » Si le Fourgon n’impose pas de cahier des charges, tous les vins font l’objet d’une dégustation et un certificat de réemployabilité délivré par France Consigne, le groupement national des opérateurs du réemploi, est exigé. Vincent et Cécile Barbier, vignerons à Vertou, se sont lancés dans l’aventure du Fourgon en 2022. « On vient de faire notre 3e mise en bouteille. Ça se développe bien. Le seul problème, c’est le retour des bouteilles. On n’a pas encore récupéré les premières et on nous annonce 2 ans avant de les avoir. » De son côté, Le Fourgon se veut plus rassurant en avançant un retour des premières bouteilles dans quelques mois. « On monte en puissance mais pour que ça aille plus vite, il faut du volume. On est encore au stade où il faut mettre des bouteilles dans le réseau », précise Louise Motte.
Encore du chemin à parcourir
Pour développer la consigne, aussi bien auprès des producteurs que des consommateurs, des voix s’élèvent pour demander la mise en place d’une collecte publique. « Nos clients cavistes nantais seraient très favorables à une offre portée par Nantes Métropole », confirme Vincent Barbier. Pour Émeline Bergeron, les pouvoirs publics « ont un rôle à jouer. Aujourd’hui ils ne vont pas assez loin. Peut-être que l’on pourrait instaurer des points de collecte dans des bureaux de poste par exemple. Aujourd’hui, avec la hausse des coûts de l’énergie, on a pas le choix d’aller vers le réemploi mais cela pourrait aller beaucoup plus vite s’il y avait une volonté politique. » Pour les deux vignerons, les consommateurs sont prêts à s’engager. « C’est un argument de vente et le client est prêt à mettre 1€ de plus sur la bouteille », assure Vincent Barbier. Pour le directeur du Super U de Carquefou, les consommateurs sont « attentifs à ces sujets. Il faut encore changer leur culture, ça prendra du temps, mais on est au début d’une nouvelle ère et de toute façon, nous n’avons pas le choix ». Depuis l’installation de l’automate de collecte, Yoann Ravard a été sollicité par d’autres directeurs de magasins du réseau, intéressés par la démarche. Bout’ à Bout’ confirme avoir également des contacts avec d’autres enseignes de la grande distribution. Pour Charles Boutin, le changement climatique a favorisé « une prise de conscience. Entre deux produits, le consommateur va acheter celui qui est réutilisable. C’est un acte d’achat. » Selon lui, l’un des freins au développement de la consigne « pourrait être la baisse du prix des bouteilles neuves sous le prix de la bouteille lavée. » Mais cette possibilité semble peu probable, d’autant que la demande en verre est soutenue. Reste le volet réglementaire. Au niveau national, la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) fixe des objectifs en matière d’emballages réemployables mais sans contraintes, ni mesures concernant la consigne des bouteilles en verre. Au niveau européen, une nouvelle réglementation sur les emballages et les déchets d’emballage a été présentée fin 2022 par la commission européenne. Elle précise, entre autres, que 20 % des boissons devront être vendues dans un récipient consigné d’ici 2030 et 80 % d’ici 2040. Un taux qui passe à 5 % pour le vin d’ici 2030 et 15 % pour 2040. Ce nouveau projet devrait entrer en vigueur d’ici 2025.