« Nous avons beaucoup d’espoir dans nos vignerons »
Ils ont quitté les vignes mais pas le vignoble. Vignerons aujourd’hui retraités, Pierre Luneau, Michel Choblet, Pierre Guindon, Claude David et Bernard Crespin ont vécu l’évolution des Vins de Nantes et notamment du Muscadet. Du gel de 1991 aux démarches de crus communaux, du vignoble d’hier à celui d’aujourd’hui, entretien avec ceux qui ont contribué au développement et à l’essor des Vins de Nantes.
Présentations :
Pierre Luneau, vigneron au Landreau (domaine Luneau-Papin). Ancien responsable des dégustations à la Fédération viticole et ancien président des caves particulières, membre du comité interprofessionnel des vins.
Michel Choblet, vigneron à Bouaye (domaine du Haut-Bourg). Ancien responsable du canton de Bouaye, responsable départemental à l’INAO, président du Gros Plant pendant deux mandats.
Pierre Guindon, vigneron à Saint-Géréon (domaine Pierre Guindon). Président du syndicat des Coteaux d’Ancenis de 2007 à 2013, délégué de la Fédération des Vins de Nantes au CRINAO.
Claude David, vigneron à La Varenne (domaine de Gaigné). Membre du comité interprofessionnel des vins.
Bernard Crespin, vigneron à Liré (domaine de la Pléiade). Vice-président des Coteaux d’Ancenis de 2007 à 2013.
Le Muscadet a connu de profondes transformations ces 30 dernières années. Quel regard portez-vous sur ces évolutions ?
Pierre Luneau : Dans les années 90, le Muscadet se vendait bien. Nous étions à 12 000 ha et le négoce était en demande pour agrandir encore les surfaces. Je me souviens d’avoir fêté une année le record des ventes à 700 000 hl ! A partir de 1991 et la gelée dévastatrice, on a perdu des marchés, notamment à l’export, vers le Royaume-Uni. La viticulture a souffert, nous n’avions plus les volumes pour alimenter les marchés et pas toujours la qualité requise. A partir de là, il a fallu relancer la machine. On a travaillé à l’évolution du cahier des charges de l’appellation pour l’amélioration de la qualité et la valorisation de la production.
Pierre Guindon : L’évolution du Muscadet est intimement liée à sa valorisation. En Coteaux d’Ancenis, nous avons toujours été des vendeurs directs, les contrats spots avec le négoce étant rares. On ne valorisait pas si mal et nous avions une diversité de couleurs et d’appellations.
Bernard Crespin : L’accroissement des surfaces a été important mais il faut aussi reconnaître qu’à une certaine époque, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous et les plantations ne respectaient pas forcément les terroirs. On négligeait aussi parfois la concurrence avec les autres vignobles. Le gel de 91 a été un tournant en Coteaux d’Ancenis. A partir de cette date, nous avons commencé à planter d’autres cépages, notamment le pinot gris pour faire du Coteaux d’Ancenis Malvoisie.
Le Muscadet Côtes de Grandlieu a été reconnu en AOC en 1994, les Coteaux d’Ancenis en 2011. Comment avez-vous vécu ces étapes ?
Michel Choblet : Revendiquer l’appellation était une obligation pour se faire connaître. Ici on était plutôt en Muscadet AOC, mais il y a toujours eu une sous-région. La reconnaissance en appellation Muscadet Cotes de Grandlieu a permis de faire connaître tout un territoire qui n’avait pas d’unité. Il a d’abord fallu trouver un nom. Au départ, on pensait aux Coteaux d’Herbauges mais il ne faisait pas référence au sud du lac de Grandlieu. Côtes de Grandlieu réunissait tout le monde même si cela n’a pas multiplié les exploitations. Pour le cahier des charges, on s’est comparé au Sèvre et Maine et inspiré des Coteaux de la Loire. Les différentes structures existantes nous réunissaient. Il y avait beaucoup de respect.
Pierre Guindon : Ça a été la reconnaissance d’une région et d’un travail. En 2008, nous avons pris en charge l’organisation de Vignes Vins Randos. Nous étions un jeune syndicat et nous voulions créer du lien. On a voulu en faire un outil à la fois interne pour rassembler mais aussi externe pour communiquer. Aujourd’hui, même à la retraite, nous continuons de participer à son organisation et ce sont plus de 1000 randonneurs que nous accueillons tous les ans en septembre.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les Muscadets ?
Pierre Luneau : Il y a eu une prise de conscience et on a beaucoup d’espoir dans nos vignerons. Ils sont plus sérieux, ils maîtrisent les rendements et vont vers une plus grande qualité. Là on retrouve de grands Muscadets. Malheureusement certains viticulteurs n’ont pas confiance dans leurs vins ou estiment qu’ils ne doivent pas être plus chers que le collègue. Les prix peu élevés du Muscadet ont été un handicap pour la reconnaissance de l’appellation. On ne peut pas faire un grand vin avec de petits prix.
Michel Choblet : Aujourd’hui le cépage melon b est porteur et c’est un blanc, contrairement à d’autres couleurs qui ont plus de difficultés. C’est un vin qualitatif, reconnu par les professionnels qui savent le mettre en valeur et automatiquement, cela tire les prix vers le haut. L’avenir passera par la dynamique de ses professionnels et par l’amélioration continue de la qualité. C’est la seule porte de sortie.
Que représentent pour vous les crus communaux du Muscadet ?
Pierre Luneau : Les crus ont été, dans ma carrière, quelque chose de très important. Ce sont nos ambassadeurs. Les premières démarches ont été initiées en 2000/2001. Tous les vignerons n’y étaient pas favorables. Ce fut un facteur déclenchant de l’amélioration de la qualité, notamment avec la recherche des grands terroirs, la maîtrise des rendements et des élevages des vins plus longs sur leurs lies.
Michel Choblet : Quand nous avons créé l’appellation, il y avait déjà une volonté de se différencier, Le cahier des charges était plus contraignant que celui du Sèvre et Maine. On était quasiment dans une démarche de crus. C’est d’ailleurs pour ça qu’un cru communal a du mal à émerger en Côtes de Grandlieu.
Pierre Guindon : Dans le secteur d’Ancenis, les prémices datent de 2001 avec l’association « Roches de Loire ». Il y avait déjà cette idée dans le nantais de mettre autre chose au-dessus du Muscadet. C’est une démarche qui rassemble, même s’il a fallu convaincre en interne, mais aussi l’INAO, de n’avoir qu’un seul cru au nord et au sud de la Loire. Cela n’a pas été simple d’arriver à la dénomination « Champtoceaux ». A l’origine, nous voulions « Ancenis » mais cela a été refusé par l’INAO qui craignait la confusion avec l’appellation.
Quel regard portez-vous sur le vignoble aujourd’hui et comment voyez-vous son avenir ?
Pierre Luneau : On se dirige vers une diminution des surfaces de melon de Bourgogne car certains vignerons font le choix de vinifier d’autres cépages. Ce qui me fait mal au cœur, ce sont les friches. C’est un handicap notamment pour l’œnotourisme. Je suis nostalgique du vignoble prospère que j’ai pu connaître. Et puis il y a aussi le gel. Même si je ne suis plus en activité, je le vis en même temps que mes enfants. Je n’ai jamais vécu dans ma carrière, une répétition de gelées aussi importante. Mais encore une fois, j’ai un grand espoir dans nos jeunes vignerons dynamiques.
Michel Choblet : Le vignoble aujourd’hui n’est plus ce qu’il était. Il y a de belles structures mais le nombre d’exploitations a considérablement diminué. L’outil de travail n’est plus aussi beau, et à l’inverse, le maraîchage s’est considérablement développé. Il faut aussi composer avec la pression foncière et les aléas climatiques. Avec mon épouse, en 40 ans d’activité, on a pas gelé 3 fois. Mes enfants ont gelé 5 fois en 6 ans. Aujourd’hui, je vis le gel avec eux. C’est normal en tant que parent.
Claude David : Il y a des secteurs plus beaux que d’autres. On voit bien que les surfaces en vignes se sont réduites au profit du maraîchage.
Bernard Crespin : Quand nous étions plus jeunes, on ne voyait pas de vignes palissées. Aujourd’hui, c’est le cas, elles sont enherbées. C’est une révolution culturale même dans l’écartement des vignes. La vigne s’adapte aux évolutions culturales.
Quel est le pire mais surtout le meilleur souvenir de votre carrière ?
Pierre Luneau : Je retiens surtout la reconnaissance des journalistes et de nos clients sur la qualité de nos Muscadets. J’ai passé de grands moments en visite chez des clients, en salon ou chez des importateurs. Ils nous faisaient découvrir leurs clients restaurateurs, leurs traditions. Je me souviens notamment d’un voyage au Japon où un chef me disait que le Muscadet était le meilleur accord avec les sushis. Tout était dit.
Michel Choblet : Les pires moments, ce sont les années de gel. Je les ai vécues avec mes enfants et ça m’interroge beaucoup sur l’avenir. D’autres scènes m’ont marqué, notamment des manifestations professionnelles. Il y a eu des prises de position sévères. Ça a permis au vignoble d’évoluer mais ce sont des passages difficiles. Mais je garde en mémoire d’avoir vécu un métier passionnant, d’avoir entretenu des relations amicales extraordinaires et d’avoir eu une succession dynamique.
Bernard Crespin : Le pire souvenir, c’était en 1994. Nous n’avions pas encore d’œnologues, pas d’assistance technique et on a été confronté à un goût de moisi sur la vendange. C’est d’ailleurs cette année-là que j’ai arrêté de vendanger à la machine. A partir de là, je n’ai vendangé qu’à la main. On constituait une équipe de 15 personnes, que l’on ne connaissait pas, de tous horizons et on leur confiait le travail d’une année et de celle à venir. Ces vendanges manuelles sont mes meilleurs souvenirs.
Claude David: Je retiens les relations avec les clients. Ce sont devenus des copains. Les relations humaines sont ce qu’il y a des plus importants.
Pierre Guindon : Le meilleur souvenir, c’est ce que l’on a bâti ensemble. Humainement parlant, c’est ce qui m’a le plus apporté. Tous les métiers sont beaux mais le nôtre est le plus complet.