Derrière les murs des clos du Muscadet

Le clos Les Montys à Haute-Goulaine a conservé ses murs, ses vignes et son terroir d’exception.
Les clos ne sont pas seulement l’apanage des vignobles bourguignons ou champenois. Le Muscadet en compte aussi de nombreux dont les vignes donnent naissance à des cuvées emblématiques et dont l’identité est façonnée par les murs de pierres qui les entourent.
A la Haute Carizière à La Haie-Fouassière, le mur du clos révèle parfois des brèches avec vue sur les vignes. Abimé par le temps, la végétation grandissante et parfois même quelques accidents routiers, l’édifice n’est plus aussi solide que par le passé mais continue d’assurer son rôle protecteur auprès des vignes qu’il abrite. Des clos comme celui-ci, il en existe des dizaines dans le vignoble de Nantes, de plus ou moins grande taille et dont l’histoire est intimement liée à celle des familles qui les ont possédés. « Au moyen-âge et à l’époque moderne, il existe en France de nombreux clos, souvent propriétés de personnages importants. Les clos les plus célèbres qui perdurent aujourd’hui sont en Bourgogne. Pour le vignoble nantais, on trouve des traces dans certains documents, de vente notamment, et surtout à travers les cadastres. On pourrait dire qu’ils étaient, avant la Révolution, des manières de marquer une propriété, d’un point de vue symbolique, mais aussi pour les clos réputés d’asseoir une rareté et donc des prix plus élevés », explique Raphaël Schirmer, géographe et auteur d’une thèse sur le renouveau du vignoble nantais. « Au 18e siècle, le commerce portuaire était très important à Nantes et de nombreux armateurs ont fait construire des folies nantaises, souvent associées à des clos. Certains étaient de simples parcs, d’autres accueillaient déjà des vignes, expression d’une certaine richesse », ajoute Jo Landron, vigneron à La Haie-Fouassière et féru d’histoire locale.
Un usage à prouver
Le terme clos désigne « une parcelle cultivée et fermée de murs ou de haies, près des maisons. » Il fait la plupart du temps référence à la culture de la vigne mais est aussi associé à celle d’arbres fruitiers. D’un point de vue réglementaire, un décret de mai 2012 précise l’utilisation de la mention « clos » en viticulture et indique qu’elle est réservée « aux vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée lorsque les vins sont issus de raisins récoltés sur les parcelles d’une exploitation ainsi dénommée et vinifiés dans cette exploitation. Le terme : « clos » peut également être utilisé pour des vins bénéficiant d’une appellation d’origine protégée issus de raisins provenant exclusivement de parcelles de vignes effectivement délimitées par une clôture formée de murs ou de haies vives ou dont l’appellation comporte ce terme. » Les cahiers des charges des Muscadets sous-régionaux autorisent l’étiquetage de cette mention, à condition qu’il s’agisse d’un lieu-dit cadastré et que celui-ci figure sur la déclaration de récolte. Il n’est cependant pas fait mention de la présence des murs. « L’usage du mot clos doit techniquement se justifier. Il faut prouver le nom cadastral de la parcelle. On peut aussi prouver qu’il y a eu des murs même s’ils ne sont plus là aujourd’hui », précise Romain Mayet, ingénieur à la Fédération des Vins de Nantes.

Il ne reste parfois que certains vestiges de murs mais leur présence, associée au nom cadastral de la parcelle, permet de justifier la mention « clos ».
« Ce qui se fait de mieux en Muscadet »
Clos de la Ramée, Clos de la Févrie, Clos des Bourguignons, Clos des Bouquinardières, etc. Un relevé, non exhaustif, des cuvées de Muscadet arborant cette mention a permis d’en dénombrer près d’une cinquantaine, principalement en Sèvre et Maine mais aussi en Côtes de Grandlieu et Coteaux de la Loire. Par sa définition, un clos symbolise la singularité, la rareté, et est généralement situé sur les meilleurs terroirs. A Haute-Goulaine, Jérémie Huchet cultive depuis 2001, les 11 hectares du Clos Les Montys. « C’est la SAFER qui nous a, à l’époque, informé de la vente de cette parcelle. Selon Joël Guedas, alors ingénieur à l’INAO, c’était ce qui se faisait de mieux en Muscadet avec une roche-mère composée d’amphibolite et de méta gabbro. C’est ce qui nous a poussé à prendre ces vignes à une dizaine de kilomètres de notre domaine à Château-Thébaud. » Ancienne propriété du Marquis de Goulaine, ce clos héberge de très vieilles vignes. « Certaines ont été plantées en 1914, 1917 et 1922. Nous faisons une cuvée issue des ces vieilles vignes et nous produisons aussi sur ce clos l’appellation communale Goulaine », poursuit Jérémie Huchet.
A La Haie-Fouassière, deux domaines se partagent le clos de la Carizière dont Jo Landron sur la partie basse. « Nous exploitons 3,89 ha depuis une trentaine d’années. C’est une belle entité, un beau terroir. Une partie peut d’ailleurs prétendre à la future appellation communale La Haie-Fouassière. L’intérêt du clos s’inscrit aussi dans un itinéraire cultural, notamment en bio. La notion de voisinage n’existe plus et on peut aussi imaginer une diversité de productions, avec des animaux notamment », relate le vigneron. Pour Jo comme pour Jérémie, les cuvées produites sur ses clos reflètent tout particulièrement l’identité de leur terroir. « Montys signifie petit mont. Il a été formé par des intrusions de lave basique qui ont percé le socle de schistes et de micaschistes. Cela donne des vins un peu atypiques pour un Goulaine, qui ont un gros caractère, un peu taiseux, un peu austères sur leur jeunesse. Mais ce sont des vins au potentiel de garde énorme avec des beaux amers, salins, salivants. » Pour Jo Landron, le clos de La Carizière présente « des notes minérales et salines, marquées par les orthogneiss. On a une notion de maturité intéressante avec de beaux équilibres et de l’élégance. »

Le clos de la Carizière à La Haie-Fouassière conserve bien ses murs d’enceinte.
Plus qu’un simple atout marketing
Ces cuvées identitaires permettent aux vignerons de définir une hiérarchie dans leur gamme de vins. Le clos « est une mention valorisante. Elle apporte quelque chose de plus par rapport à une AOC classique et amène une valorisation vis-à-vis du consommateur », souligne Romain Mayet. Jo Landron est toutefois plus mitigé quant à la perception du consommateur. « Je ne suis pas sûr qu’il s’attache à la mention, à l’inverse du professionnel qui peut y voir une notion d’antériorité, de mémoire. Cette notion d’identité cadastrale est assez forte et peut avoir un côté rassurant. » Pour Jérémie Huchet, le prestige de la mention n’efface par la notion de terroir. « Ce qui nous convainc, c’est le terroir extraordinaire et les vins que l’on y fait, qui ont une belle structure, de beaux amers salins. » Clos et terroirs sont toutefois intimement liés. Les murs ont notamment été bâtis avec les roches prélevées directement sur le sol. « Quand j’emmène des clients sur site, c’est hyper intéressant de leur expliquer que la pierre a été triée sur place. Les murs à l’arrière du clos sont très hauts et on voit bien les gabbros et les amphibolites que l’on a aussi sous nos pieds. » Aux Montys, comme ailleurs, les murs ne sont malheureusement plus tous debout et le coût de leur remise en état souvent trop élevé pour leurs propriétaires. Parfois, ce sont les murs qui restent mais les vignes ont disparu, symbole d’un vignoble en perpétuel mouvement.
Un patrimoine à préserver
Témoins de l’évolution du vignoble, les clos du Muscadet n’ont pas encore révélés tous leurs secrets. Comme les lieux-dits, leur histoire est parfois incomplète du fait de la destruction de certains registres pendant la Révolution française et s’appuie sur des transmissions orales de génération en génération. « On aimerait pouvoir travailler sur l’histoire des clos du Muscadet mais c’est un vrai travail d’historien de consulter les données d’archives, de ventes, de sessions de baux et de recroiser ces éléments avec le cadastre napoléonien et voir ceux qui sont restés », partage Romain Mayet. « Certaines communes comme la Haie-Fouassière ont la spécificité d’avoir de nombreux clos et toutes les cuvées à l’origine de la démarche d’appellation communale portent des noms de lieux-dits ou de clos. » La stratégie de hiérarchisation menée depuis plusieurs années pour la reconnaissance de Dénominations Géographiques Complémentaires en Muscadet s’appuie en effet sur ces parcelles identitaires. L’étape ultime vise à compléter cette mention par celle du lieu-dit. Une manière aussi de rendre hommage à ces clos du Muscadet.