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Le juste prix (2/2)

Suite de notre dossier consacré au prix du vin. Après avoir dressé l’état des lieux dans le vignoble de Nantes, intéressons-nous ce mois-ci à la définition du prix. Quels sont les éléments à prendre en compte ? Quel positionnement adopter selon que l’on vende en direct auprès des particuliers ou à l’export ? Et quels sont les outils à disposition des vignerons pour établir leur offre ? Mode d’emploi.

Un prix, c’est un camembert. Ou si vous préférez une bouteille de vin que l’on décortique. « Pour décider de son prix dans une approche de gestion, il faut calculer le prix de revient de chaque bouteille produite sur l’exploitation à partir des coûts réels de production au vignoble, à la cave et au conditionnement. A cela s’ajoutent les frais administratifs et financiers, les frais commerciaux, de promotion et la marge de l’entreprise », précise David Destoc, directeur du Syndicat des Vignerons Indépendants nantais. Dans notre camembert – ou bouteille de vin – les coûts de production représentent près de 40 % du prix, le packaging 15 %, les frais de transport 6 %, les frais financiers 6 %, les frais de promotion de 17 à 20 %, le reste constituant la marge du vigneron. Pour Laurence Allot, consultante et coach en développement commercial, « le prix doit surtout être en cohérence avec le prix de revient, le prix de marché restant une indication de positionnement. Aller vers des prix de négoce, c’est complexe. Mieux vaut viser le segment milieu de gamme ou premium. Pour cela, on va définir un prix de référence au domaine. C’est un prix TTC consommateur que l’on pourra ensuite moduler en fonction de ses circuits de distribution et de ses volumes. »

Quel prix pour quel circuit ?
Pour la vente au domaine, le positionnement tarifaire repose non seulement sur le prix de revient mais aussi sur le prix de la demande. « Le vigneron doit chercher à répondre à la question : combien le consommateur-client que je vise est-il prêt à acheter mon vin ? Le consommateur donne une valeur au vin en fonction de la qualité mais aussi de la notoriété et de l’histoire du domaine, des récompenses, des engagements pris pour la préservation de l’environnement à travers les certifications ou encore de la transparence sur l’origine. Et l’observatoire économique que nous avons installé depuis trois ans démontre que les vins de Nantes ont toute latitude pour progresser en prix car de nombreux consommateurs leur reconnaissent de belles vertus. Les vignerons nantais n’ont pas à rougir de leurs vins, et certains d’entre eux doivent prendre la pleine mesure de leur impact négatif sur le collectif s’ils pratiquent des prix trop bas », explique David Destoc. Ce prix, appelé départ cave ou TTC consommateur, va constituer la pierre d’angle de la politique tarifaire du domaine. « De ce prix TTC, on fait un calcul arrière pour définir un prix professionnel », ajoute Laurence Allot. « On enlève la TVA, on inclut le prix du transport, la marge du caviste, etc., et on obtient un prix hypothétique de cession. Ce prix doit être cohérent par rapport à ceux pratiqués au domaine et en lien avec les volumes. » Ces prix vont aussi varier selon la stratégie commerciale de l’entreprise. Si elle travaille en grande distribution, les prix moyens au domaine seront sans doute plus bas. Si elle ne souhaite pas favoriser la vente directe au caveau, les prix au domaine seront à l’inverse plus élevés que sur le reste des autres segments. Pour trancher, il est aussi fortement conseillé de connaître les prix de revente des vins chez ses clients professionnels, sachant que chaque circuit applique un coefficient multiplicateur au prix HT du vin : de 2 en moyenne chez les cavistes, à 3 en CHR. « Le vigneron doit rester à l’écoute de ses marchés. Certains vins vont pouvoir supporter les coefficients de marge annoncés, pour d’autres, le prix devra être ajusté pour s’adapter à une conjoncture de marché ou un contexte de concurrence. Attention toutefois à vérifier que les prix calculés ne soient pas en dessous du seuil de vente à perte », souligne David Destoc des Vignerons Indépendants.

A l’export, les prix comprennent la marge de l’importateur (de 10 à 20 %), le prix du transport et les taxes. Pour définir ses prix, le vigneron doit s’appuyer sur ceux qu’il pratique déjà en France auprès des professionnels, puis il doit connaître les incoterms (international commercial terms) qui fixent les responsabilités et les coûts, du vendeur et de l’acheteur pour la mise à disposition de la marchandise, son acheminement ou sa manutention. « En France on entend parler de différents tarifs : départ cave, franco de port, etc. Le franco de port n’existe pas à l’international. J’invite les vignerons à fixer un prix EXW ou ex-work qui est un prix départ chai. C’est celui qui leur impose le moins d’obligations », explique Laurence Allot, spécialiste du développement à l’international. Quant au choix d’avoir un seul ou plusieurs tarifs export, tout dépend de la stratégie du producteur. S’il s’appuie sur un agent commercial, il est préférable de n’avoir qu’un seul tarif pour l’Europe et l’international. En revanche, s’il mène une démarche active avec ses propres ressources, la grille tarifaire pourra être raisonnée plus finement par zone et/ou typologie de distribution.

Quelques conseils pour construire sa politique tarifaire
– Observer le marché : il est important de connaître les prix des produits équivalents selon les circuits mais aussi d’avoir une idée des prix de revente, chez un caviste, dans un restaurant ou à l’export.
– Avoir deux gammes, dans le cas notamment de la vente en grande distribution. Pour ne pas baisser ses prix consommateurs au niveau de la GD, il est préférable de scinder sa gamme : l’une particulier, l’autre professionnel. « A l’export, proposez une gamme courte », ajoute Laurence Allot. «Plus la gamme est fournie, moins l’acheteur pourra vous identifier facilement. »
– Ne pas dévoiler ses prix : si vous êtes présents sur plusieurs segments, évitez de faire de la vente en ligne. Vos prix seront alors publics et peuvent créer la confusion chez vos acheteurs. Pour les mêmes raisons, ne donnez pas de prix fixes lors de salons professionnels. Donnez plutôt une fourchette de prix et prenez le maximum de renseignements sur l’acheteur : sa cible, le volume souhaité, etc. Notez aussi ce que vous avez dit à vos clients. Après quelques jours de salon, vous risquez d’oublier ce que vous avez annoncé et à qui.
– Acceptez de gonfler vos prix, quitte à faire une remise dans un second temps en fonction du volume commandé. « Les vignerons ne sont pas à l’aise avec ça car on rentre dans la négociation », note Laurence Allot. « Ils ont peur de perdre des clients mais les acheteurs, notamment à l’export, ont l’habitude. C’est une histoire d’acceptation. » Dans le cadre d’une négociation, les remises se calculent par ailleurs en pourcentage et non en numéraire. Il est également conseillé de se fixer un prix plancher au-delà duquel on ne descend jamais au risque de mettre en cause la pérennité de son entreprise.

Lors des salons, il est conseillé de ne pas communiquer ses tarifs mais de donner une fourchette de prix.

Des outils pour vous accompagner
Pour construire ou revoir sa politique tarifaire, vous pouvez vous appuyer sur plusieurs interlocuteurs, à commencer par votre expert-comptable. Il existe également des agences spécialisées dans le développement commercial pour les acteurs de la filière vins et spiritueux. Pour les vignerons indépendants, le syndicat dispose d’un guide pratique très détaillé sur le sujet. La Chambre d’agriculture des Pays de la Loire propose quant à elle différentes formations, sur le perfectionnement des outils commerciaux pour la vente au niveau national ou via Food’Loire pour les entreprises tournées vers l’export. La Chambre d’agriculture travaille par ailleurs au développement d’un outil à destination des vignerons désireux de changer leurs pratiques et d’en mesurer le coût. Baptisé Inosys, il permet de faire une évaluation économique du changement de pratique, du conventionnel vers le bio notamment. A partir du compte de résultat du vigneron sur les trois dernières années, il est possible de réaliser plusieurs scénarios d’itinéraires techniques. Nouvelles opérations culturales, arrêt partiel ou total des produits phytosanitaires, achat de matériel, charges de structures, etc, l’ensemble des données – calculées sur la base du référentiel des coûts de production de la Chambre d’agriculture – sont renseignées et permettent de définir le coût du changement de pratique. Au vigneron ensuite de voir la faisabilité économique d’un tel changement et l’impact sur ses prix de vente. Actif dans le Maine-et-Loire, Inosys sera accessible aux vignerons de Loire-Atlantique via leurs conseillers à compter de 2020.
Sachez par ailleurs qu’il existe des aides pour revoir son positionnement commercial. L’une d’entre elles est accordée par FranceAgrimer : l’aide au diagnostic d’exploitation dans les caves particulières viticoles. Elle permet aux exploitants en caves particulières d’identifier leur positionnement sur le marché, l’adéquation de leur production, de leurs prix, de leurs circuits commerciaux et de leur stratégie avec ce positionnement. La subvention peut aller jusqu’à 50 % du montant HT de l’audit. Cette aide s’est clôturée le 31 octobre dernier mais elle pourrait être prolongée.

« Vendre du vin n’est pas compliqué. Ce qui l’est, c’est du vendre du vin longtemps », souligne la consultante Laurence Allot. Au domaine, en grande distribution, auprès des cavistes ou à l’export, la politique tarifaire d’une exploitation viticole doit donc reposer sur une véritable stratégie commerciale pensée pour durer. Dans le vignoble de Nantes peut-être encore plus qu’ailleurs, il est de la responsabilité de chaque producteur de construire des prix en cohérence avec ses coûts de revient. Un travail individuel au service du collectif afin de tirer l’ensemble des AOC de Nantes vers le haut.