Mesures environnementales : entre enjeux sociologiques et réalité économique
« Vignes, environnement et société : tous concernés ? », c’était le thème de la table ronde organisée en marge de l’assemblée générale des producteurs le 21 février à La Haye-Fouassière. Un sujet d’actualité qui interpelle les vignerons, soucieux de concilier performance économique et protection de l’environnement.
C’est un constat indéniable. Depuis les années 80 la ville grignote la campagne et l’urbanisation gagne les communes dites rurales. « Cet espace rural est devenu patrimonial. Ce n’est plus seulement un espace de production, c’est aussi un espace de loisir » souligne Jean-Louis Yengué, géographe et maître de conférence à l’Université de Tours. « Aujourd’hui trois publics se partagent ce territoire : les agriculteurs, les néo-ruraux et ceux qui viennent profiter de ces espaces verts. » Des populations qui cohabitent sans forcément se connaître. « Les néo-ruraux sont déconnectés de l’agriculture. Ils font leurs courses dans les supermarchés et ne font pas forcément vivre l’agriculteur du coin. » Mais surtout ils s’interrogent sur ses pratiques, notamment en matière d’utilisation de produits phytosanitaires. Au Landreau, où l’école primaire est située à proximité des vignes, le maire reconnaît avoir reçu des demandes particulières de la part de ses administrés. « On nous a demandé d’analyser les produits éventuels sur les aires de jeu ou encore d’acheter 20 mètres de vignes pour créer une frontière plus large avec l’école. Ce n’est pas la vocation de la commune » indique Pierre Bertin. Les élus sont en effet bien souvent en première ligne sur ces questions environnementales. « Nous devons aider à rétablir le dialogue entre les collectifs d’habitants et le monde agricole » poursuit le maire du Landreau. « Nous avons demandé l’aide des services de l’État mais nous sommes parfois livrés à nous-mêmes. » La réglementation est pourtant là pour encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires. En plus de l’arrêté de 2006, un arrêté préfectoral a été signé par le Préfet de Loire-Atlantique le 6 février dernier.
Un texte signé, un autre en projet
Ce récent arrêté départemental fixe « les mesures destinées à préserver les lieux et établissements accueillant des personnes vulnérables au risque d’exposition aux produits phytopharmaceutiques ». Près des cours de récréation et des espaces fréquentés par les enfants, près des hôpitaux et centres hospitaliers, près des établissements de santé ou accueillant des personnes âgées ou handicapés, l’utilisation des produits phytos « est subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées. » Ainsi, leur utilisation doit respecter les conditions météos définies dans l’arrêté de septembre 2006 (éviter la dispersion hors de la parcelle ou de la zone traités, pulvérisation ou poudrage que si le vent a un degré d’intensité inférieur ou égal à 3 sur l’échelle de Beaufort). Les mesures de protection adaptées vont quant à elle de l’utilisation d’appareil de traitement équipés de buses anti-dérives ou de dispositifs de confinement, au choix des dates et horaires afin d’éviter la présence de personnes vulnérables lors du traitement, en passant par la mise en place de haies. « Ces mesures ne se cumulent pas » précise Paul Rapion, directeur adjoint de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). « Si l’une de ces mesures est respectée, il n’est pas nécessaire de mettre en place de zones de non traitement ». En vigne, la distance minimale en deçà de laquelle il est interdit d’utiliser les produits phytos à proximité des zones sensibles est de 20 mètres. Le directeur adjoint de la DDTM insiste également sur le caractère de priorité. En clair, si un projet est envisagé à proximité des vignes, « c’est au porteur de projet de prendre en compte les mesures environnementales. »
En parallèle de ce texte du 6 février 2017, un projet d’arrêté actualisant les dispositions de celui de 2006 a été soumis à consultation publique du 13 janvier au 3 février. « Il fixe notamment la vitesse maximale du vent au-delà de laquelle ces produits ne peuvent pas être appliqués, les délais à respecter entre l’application du produit et la récolte et le délai de rentrée minimum applicable aux travailleurs agricoles après l’utilisation des produits » fait savoir le ministère de l’agriculture.
Dans le nantais, les vignerons innovent
« Nous n’avons pas à rougir de notre vignoble. Nous avons des vignerons techniciens et ils ne sont pas en retard sur les questions environnementales. Pour rappel, les premières stations météos ont été installées en 1993 » indique Nadège Brochard-Mémain, conseillère viticole à la chambre d’agriculture. Dans le vignoble de Nantes, de nombreuses initiatives ont été lancées pour développer une viticulture plus respectueuse de l’environnement. « Des démarches collectives et volontaires » précise Alain Tréton, de la Chambre d’agriculture. Le réseau Ariane, Terra Vitis, le réseau DEPHY, le développement du bio ou encore la certification Haute Valeur Environnementale (HVE) en font partie. « Il y a eu des efforts et il y en a encore mais ils ne sont pas suffisants au regard du resserrement réglementaire et sociologique. » De nouvelles démarches sont toutefois en projet. La Chambre d’agriculture travaille actuellement avec l’agence de l’eau en vue de la signature d’un contrat territorial 2017–2020 dont l’ambition est de proposer des solutions adaptées à chaque exploitation. Reste la question des moyens. « Peu de dispositifs financiers existent en dehors des aides à l’investissement accordées dans le cadre du PCAE, le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations. On aimerait des mesures environnementales mais elles ne devraient pas arriver avant au moins deux ans » poursuit Alain Tréton.
Changer ses pratiques ou les adapter à la réglementation a en effet un coût. Sans compter la pression exercée par les distributeurs. Ces derniers affichent en effet leurs engagements en faveur de la réduction des pesticides et répondent ainsi aux attentes de leurs clients. « La question de l’accès à certains marchés peut se poser » souligne Alain Tréton. Ne pas s’adapter à ce changement pourrait en effet coûter cher aux exploitations. A contrario, celles engagées dans cette démarche profiteront-elles d’une valeur ajoutée supplémentaire? « Oui » selon Jean-Louis Yengué : « Les consommateurs sont prêts à payer le prix de ces efforts. Les modes de consommation évoluent. On mange mieux et peut-être moins mais on va surtout vers des produits de meilleure qualité. On le voit avec le succès des AMAP et des circuits courts. »
Savoir-faire et faire savoir…
Finalement la principale difficulté des viticulteurs et des agriculteurs en général n’est-elle pas de s’adapter au changement que de le faire savoir ? « Nous avons des vignerons très professionnels mais qui ne sont pas des bons communicants »constate Carmen Suteau, vigneronne à Divatte-sur-Loire. Son conseil : s’appuyer sur la charte pour la prise en compte de l’agriculture dans l’aménagement du territoire signée en 2005 pour la viticulture. « L’agriculture est avant toute une activité économique. Nous travaillons sur des paysages ouverts. Ce sont des milieux que nous partageons mais sous certaines conditions. Cette charte vise à favoriser le dialogue et elle devrait être transmise à tous les responsables d’établissements accueillant des personnes sensibles. » La viticultrice prône également « la concertation pour que les choses soient claires et que tout le monde puisse travailler ensemble. » Un avis partagé par la députée Sophie Errante : « On aimerait qu’il y ait un peu plus de dialogues. Nous, élus, nous ne pouvons pas nous mettre à la place des viticulteurs, nous ne pouvons pas expliquer votre métier. »
Pour aider les vignerons à mieux communiquer et faire connaître leur métier, la Chambre d’agriculture prépare actuellement des films pédagogiques et des fiches pratiques. Ces supports de communication seront disponibles dans les prochaines semaines. Pour Christian Gautier, président du conseil stratégique de la Fédération des Vins de Nantes, il faut aussi « cesser d’opposer les modèles de production entre eux. C’est en nous engageant tous ensemble dans une démarche de progrès que nous irons vers une viticulture durable. Nous devrons être intransigeant avec ceux qui ne respectent pas les bonnes pratiques. Nous devons recréer le dialogue et innover, en soutenant la recherche, notamment sur les cépages résistants. »