Quel itinéraire technique pour mon domaine ? Focus 1 : bio et biodynamie
La viticulture comme l’agriculture est diverse. Conventionnelle, biologique, raisonnée, haute valeur environnementale, etc., les itinéraires sont variés. La transition agricole opérée depuis quelques années tend toutefois vers des modèles durables et respectueux de l’environnement. Pour y voir plus clair parmi ces différents modes de culture, nous vous proposons chaque mois de les découvrir à travers des témoignages. Ce mois-ci, coup de projecteur sur la viticulture biologique et biodynamique.
Le bio, Stéphane Orieux est tombé dedans quand il était petit. « Mon père a obtenu la certification en 1991 mais il a commencé à s’y intéresser bien avant. Dès la fin des années 60, début 70 il essayait d’appliquer la méthode Lemaire-Boucher (fondateurs de l’agriculture biologique, ndlr). » Lorsqu’il a repris l’exploitation familiale en 1997, le valletais a poursuivi la tradition familiale puis étendue aux vignes acquises par la suite. « Il y avait 5 hectares bio ici à Vallet. J’ai aussi repris 6 hectares à un oncle vigneron sur Tillières. Les parcelles n’étaient pas en bio à l’époque mais le sont devenues. Les dernières parcelles reprises en 2015 sont actuellement en cours de conversion. 2018 sera la dernière année. »
Pour Julien Braud, c’est désormais chose faite. Depuis cette année, ses 8 hectares en production à Monnières sont certifiés « Agriculture Biologique ». « J’ai toujours voulu travailler dans le vin et c’est au fil des dégustations qu’est venue l’envie de faire du bio. J’ai visité plusieurs vignobles à la fin de mon école d’ingénieur et je me disais que quitte à être vigneron autant bien le faire. C’est un mode de culture qui me plaît. L’aspect environnemental n’est pas négligeable. Je pense aussi à ma santé et celle du voisinage. »
Une conversion par étapes
Comme Julien Braud et Stéphane Orieux, ils sont plus de 200 viticulteurs bio en Pays de la Loire dont une quarantaine en Loire-Atlantique. Mais passer en bio ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Comme l’indique le site internet produire-bio.fr, animé par la Fédération nationale de l’agriculture biologique : « Il ne suffit pas de vendre le pulvé et de remplacer les intrants chimiques par des intrants bio. Il faudra certainement adapter le système de production en place et donc la commercialisation et les débouchés. »
La conversion – et même l’installation – en agriculture biologique se prépare. L’une des premières étapes consiste à définir son projet. Pour cela il est possible de se faire accompagner. En Loire-Atlantique, le GAB, Groupement des agriculteurs biologiques, propose un suivi individuel ou collectif et des formations. Il faut ensuite choisir un organisme certificateur, se notifier auprès de l’Agence Bio puis renvoyer sa lettre d’engagement à l’organisme certificateur. Le schéma ci-dessous résume les différentes étapes de la conversion.
Une fois engagé, il est possible de solliciter des aides à la conversion. En viticulture, cette période de conversion dure trois ans. Trois années pendant lesquelles il n’est pas possible de valoriser sa production en Agriculture Biologique, quand bien même le cahier des charges est respecté. Il est cependant autorisé d’indiquer que le produit est “en cours de conversion” sur les étiquettes au bout de la 2ème année, sans y apposer le logo AB.
La maîtrise technique, un élément fondamental
Pour Julien Braud, ces trois années de conversion ont presque été une formalité. « Il faut juste savoir ce que l’on met sur ces vignes et c’est plutôt une bonne chose. Je travaille seul sur l’exploitation et c’est une chance finalement car je sais exactement ce qui a été fait. »
Si la viticulture bio demande plus de travail à la vigne, les moyens techniques actuels permettent d’être plus performants que par le passé. « Dans les années 90 on se débrouillait seuls » se souvient Stéphane Orieux. « Aujourd’hui nous avons un technicien à la CAB, la Coordination agrobiologique, nous avons des groupes d’échanges entre vignerons. Le matériel aussi a évolué, notamment pour le travail du sol. » Quant à la gestion des maladies, elle demande une surveillance de tous les instants. Pour Stéphane Orieux, « il faut traiter au bon moment et rapidement. Il me faut 7 heures pour traiter tout mon vignoble. J’ai aussi beaucoup appris de l’année 2007 où j’ai perdu toute ma récolte à cause du mildiou. Par exemple je garde désormais des bandes enherbées pour pouvoir passer avec le tracteur. Je les casse ensuite en juillet quand il n’y a plus de risque. En 2016, j’ai fait partie des deux, trois vignerons bio à ne pas avoir subi le mildiou. Malgré le gel, j’ai fait 30 hl/ha en moyenne. Mais c’est, je pense, le résultat de la combinaison de trois facteurs : l’expérience, la chance et la météo car nous avons eu moins d’eau que dans d’autres secteurs. »
« On peut davantage valoriser notre travail »
Pour compenser l’investissement technique et humain, les viticulteurs bio appliquent des tarifs supérieurs au conventionnel. Dans le Muscadet, en fonction des domaines, les prix varient de 6 à 18 € voire plus. « Nous ne sommes pas déconnectés du marché non plus » estime Stéphane Orieux, « mais il est vrai que l’on peut davantage valoriser notre travail ». Le prix n’est d’ailleurs pas un frein pour les consommateurs, toujours plus nombreux à se tourner vers des produits estampillés Agriculture Biologique. Selon le dernier baromètre de l’Agence Bio paru en janvier 2017 (lien), 70 % des Français consomment du bio régulièrement. Ils étaient 65 % en 2015. « Aujourd’hui le fait d’être en bio est un atout. Tous les cavistes, les restaurateurs ont des gammes bio » constate le vigneron valletais.
Et la biodynamie dans tout ça ?
Dans le vignoble nantais, certains vignerons ont fait le choix d’aller plus loin que l’agriculture biologique en passant à la biodynamie. C’est le cas du Domaine Bonnet-Huteau à la Chapelle-Heulin, bio depuis 2005 et biodynamique depuis six ans. « On y est venu au fil des lectures, des rencontres avec des collègues du bio » raconte Jean-Jacques Bonnet. « Il faut avoir une certaine ouverture d’esprit pour se lancer dans le biodynamie. Il ne faut pas non plus avoir honte de s’y attaquer sans avoir tout compris » Mais c’est quoi d’ailleurs au juste la biodynamie ? « C’est un mode de culture qui s’appuie sur la compréhension des milieux » poursuit le vigneron. Développée par le philosophe autrichien Rudolf Steiner au début du 20ème siècle, la biodynamie repose sur le principe que la plante interagit avec le monde qui l’entoure et notamment avec les forces astrales. Pour Rémi Bonnet, « ce n’est pas une croyance mais une approche plus sensible des choses. » Il le reconnaît toutefois : « Les pratiques biodynamiques peuvent surprendre. Les préparations utilisées ressemblent parfois à des potions de sorciers. » Au printemps, il utilise par exemple de la bouse de corne pour stimuler la pousse des plantes. « C’est une préparation à base de bouse de vache bio, stockée dans des cornes de vache vides et enterrées pendant l’hiver. Au printemps, on la dilue et la dynamise dans de l’eau puis on la pulvérise sur la vigne. »
Pour connaître les moments les plus favorables aux plantes, la biodynamie s’appuie également sur un calendrier des semis. Les deux frères l’utilisent aussi bien à la vigne qu’à la cave pour connaître les jours les plus favorables. Depuis ils estiment que « tout fonctionne mieux même s’il faut du temps pour voir les résultats. On progresse La constamment et il y a encore beaucoup à faire. Mais nos vins ont évolué, ils ont un profil différent. Ce sont des vins qui me plaisent et à nos clients aussi. » Jean-Jacques Bonnet reconnaît cependant que la biodynamie n’est « pas un argument commercial » même si une certification existe. En France, 300 Domaines viticoles sont certifiés par Demeter et 135 par Biodyvin.
Des contraintes mais « beaucoup d’avantages »
Tout comme en conventionnel, la viticulture bio et biodynamique présente des avantages et des inconvénients. Pour Julien Braud, les bénéfices sont avant tout humain : « Il y a beaucoup d’entraide. Le groupe de vignerons bio s’agrandit de jour en jour. Je suis aussi là grâce à des gens qui m’ont donné un coup de pouce ». Stéphane Orieux apprécie quant à lui d’être « proche des vignes, du terroir. On travaille aussi de façon naturelle, ce qui est mieux pour le vigneron et le consommateur. » Un argument repris par Jean-Jacques Bonnet qui estime « faire sa part de protection des riverains. On protège aussi la plante, on préserve nos sols. » Sans oublier, la valorisation du produit auprès du consommateur.
Mais ils le reconnaissent aussi, ces itinéraires techniques ont des contraintes, à commencer par celle du temps. « On peut vite se faire manger par le métier » concède Stéphane Orieux. Sur son domaine, trois à quatre personnes travaillent à temps plein, 8 chez les frères Bonnet à La Chapelle-Heulin. Mais ces vignerons y voient aussi un avantage : celui de créer de l’emploi et donc de faire vivre plusieurs personnes. Quant à la gestion des maladies, elle est aussi plus risquée. « Il faut accepter le fait que l’homme ne peut pas tout maîtriser et être prêt à avoir des rendements un peu moins importants » avance Jean-Jacques Bonnet. Le prix à payer « pour une agriculture d’avenir ». « On a fait le tour de l’agriculture conventionnelle. Le bio a lui encore beaucoup à prouver et des marges de progrès. »
Pour aller plus loin :
Sur le bio :
– https://www.produire-bio.fr/
– CAB, Coordination agrobiologique des Pays de la Loire : http://www.biopaysdelaloire.fr/
– GAB, Groupement des agriculteurs biologiques des Pays de la Loire : http://www.gab44.org
– Chambre régionale d’agriculture des Pays de la Loire : http://www.pays-de-la-loire.chambres-agriculture.fr/etre-agriculteur/adapter-sa-strategie-dexploitation/devenir-agriculteur-bio/
Sur la biodynamie :
http://www.bio-dynamie.org/
Le mois prochain : “Focus 2 : Terra Vitis et HVE”