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Œnotourisme : le vignoble en effervescence

L’été, il n’y a pas que les parcs d’attractions, les stations balnéaires ou les grandes métropoles qui attirent les touristes. Les vignobles français et notamment le Val de Loire sont de plus en plus plébiscités avec, selon les chiffres les plus récents, 10 millions de visiteurs par an sur tout le territoire. Dans le vignoble de Nantes, l’offre oenotouristique s’est considérablement développée, notamment avec le Voyage dans le Vignoble. Elle émane des domaines mais aussi de démarches collectives.

1,6 million. C’est le nombre d’oenotouristes accueillis en Val de Loire en 2021. Malgré le contexte sanitaire, malgré les restrictions de circulation, la fréquentation dans les caves de la Vallée de Loire se rapproche de son niveau d’avant Covid (1,7 million en 2019) et dépasse les chiffres de 2020 où 1,2 million de visiteurs avaient été enregistrés. Surtout, le chiffre d’affaires généré par l’oenotourisme n’a de cesse de progresser, atteignant 82 millions d’euros en 2021, autant qu’en 2019, avec un panier moyen à 104 €, un record. Et la Loire-Atlantique dans tout ça ? Le département a accueilli plus de 9 millions de touristes l’an passé selon les données transmises par Loire-Atlantique Développement, l’agence d’ingénierie publique. Si la grande majorité visite Nantes ou le littoral, ils ne délaissent pas pour autant le vignoble. Les chiffres 2021 de l’observatoire de l’oenotourisme n’ont pas encore été dévoilés mais les tendances indiquent un niveau proche de 2019. Cette année là, 190 000 visiteurs avaient été enregistrés pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Pour 2022, les prévisions sont plutôt optimistes d’autant que l’offre est grandissante. Notre département compte 63 caves labellisées Caves touristiques dont 15 Caves d’excellence. Le réseau Vignobles & Découvertes compte par ailleurs 84 prestations pour la destination Muscadet Loire Océan. Au-delà de la création de valeur ajoutée, toutes ont comme objectif final le développement du chiffres d’affaires généré, entre autres, par les ventes additionnelles au caveau. Une ambition purement économique et par ricochet un objectif de notoriété et d’image avec des offres de plus en plus innovantes et différenciantes.

Le bilan de fréquentation touristique 2021 en Loire-Atlantique a été réalisé à partir des données mobiles des visiteurs. Source : Flux Vision Tourisme Orange 2021 / LAD.

Le Homard à La Frémoire, figure de proue du Voyage dans le Vignoble
Si l’oenotourisme progresse, c’est notamment grâce au Voyage dans le Vignoble. Lancée en 2015, cette déclinaison du Voyage à Nantes s’est depuis élargie avec de nouvelles étapes et des points d’intérêts améliorés ou réaménagés au fil des ans. C’est le cas du Homard à La Frémoire. Inauguré en 2017, le siège de la Fédération des Vins de Nantes a fait évoluer son offre, passant d’une ouverture les samedis et dimanches de juillet et août la 1ère année, à 5 mois d’ouverture aujourd’hui. Le site est accessible du vendredi au dimanche, voire même du mercredi au dimanche pendant les deux mois d’été, et les clients sont chaque année plus nombreux. 15 000 visiteurs ont été comptabilisés en 2021, 5 000 de plus qu’en 2020, et cette 6e saison devrait battre tous les records. A fin juin, après deux mois d’activité, plus de 5 000 personnes ont fréquenté le bar à vin. « La météo nous a fortement aidé ! Le public est plutôt local, de l’agglo nantaise, et assez fidèle. Les gens viennent en famille ou entre amis pour boire un verre ou manger », précise Line-Morgane Landelle, chargée de projet. Côté consommation, la carte des vins est composée de cuvées ambassadrices allant de 4 € le verre à 28 € la bouteille. Les crus du Muscadet font partie des « best-sellers » tout comme le Coteaux d’Ancenis Malvoisie, le Muscadet Sèvre et Maine et le Muscadet AOC. Pour le moment, le site ne propose pas d’animations vigneronnes mais cela pourrait changer à l’avenir avec le projet Frémoire. D’ici 2024, le Homard devrait en effet évoluer avec une nouvelle scénographie à l’intérieur du Château et un accueil réceptif tout au long de l’année. Le projet est en cours. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

La 6e saison du Homard à La Frémoire devrait battre tous les records. Crédit : Emeline Boileau.

Mauves Balnéaire, vitrine des domaines
Au Nord de la Loire, à Mauves, une autre étape du Voyage dans le Vignoble fait la part belle aux AOC de Nantes. Depuis 6 ans, Mauves Balnéaire accueille chaque été les visiteurs en bord de Loire. Jusqu’à présent, des domaines installés en Coteaux d’Ancenis s’y relayaient pour tenir le bar à vin mais l’organisation a changé cette année. Ils sont désormais deux à gérer le site, le domaine Morille-Luneau et le Vignoble Marchais, avec l’appui de Thibault Silloray, de l’association Haut et Fort. Tous trois ont remporté l’appel à manifestation d’intérêt lancé par la commune. « Notre présence ici nous permet de mettre en avant nos vins mais aussi de promouvoir l’appellation avec une prestation de qualité. Nous avons une histoire à raconter, nos vignes sont à proximité », explique Violette Marchais. « Nous avons réalisé deux cartes des vins que l’on propose en alternance avec un prix au verre entre 2,5 et 3 € et de 12 à 14 € la bouteille. » Une offre de restauration complète la proposition ainsi qu’une offre culturelle avec des concerts le week-end. Ouvert du vendredi au dimanche depuis début mai, le site est accessible 7 jours sur 7 en juillet et en août. « Le premier bilan de fréquentation est très positif. Nous avons pas mal de locaux, des Nantais mais aussi des étrangers, Anglais ou Hollandais. La Loire à vélo passe ici et amène du monde », poursuit Violette Marchais. Mais ces visiteurs font-ils ensuite la démarche d’aller dans les domaines ? « Un peu », témoigne Jean-Baptiste Morille. « Être à Mauves Balnéaire nous donne de la visibilité auprès d’un public que l’on ne verrait pas forcément pousser la porte du domaine. » Pour les inciter à découvrir le vignoble, Violette Marchais et Jean-Baptiste Morille réfléchissent à un système de coupon avec remise offert aux clients du bar à vin. « Nous ne proposons pas de vente à emporter et cela pourrait les pousser à venir chez nous ».

 

Jean-Baptiste Morille, Violette Marchais et Thibault Silloray assurent la gestion de Mauves Balnéaire.

Des supports de communication multi-domaines
De l’autre côté de la Loire, en bord de Sèvre, les vignerons qui animent chaque dimanche le Port de La Haye-Fouassière dressent un constat similaire. « Très peu de visiteurs reviennent ensuite dans nos caves. C’est plus une découverte ponctuelle de nos vins », souligne Laurence Vinet, du domaine Vinet. Le port est également une étape du Voyage dans le Vignoble et sa renommée est de plus en plus acquise. La fréquentation est en hausse et à la fois locale et touristique. « En général les visiteurs connaissent le Muscadet mais demandent à en apprendre davantage. Cela permet de leur faire découvrir les domaines de la commune, de parler de l’appellation et plus particulièrement de la démarche de cru La Haye-Fouassière », ajoute Laurence Vinet. A Château-Thébaud, le même objectif est poursuivi par les vignerons de la commune. L’ouverture du Belvédère fin 2020 a largement contribué à faire découvrir le paysage viticole et les domaines. « C’est un incontournable », estime Marie Lieubeau. « L’impact pour nos domaines n’est pas facile à quantifier mais il est clair qu’il contribue au dynamisme de la commune. Quand nous recevons des clients professionnels, c’est un lieu de passage obligé. Cela nous permet de leur parler des terroirs et de la géologie. » Le caveau installé sur le chemin d’accès au porte-vue doit quant à lui faire ses preuves. Chaque vendredi pendant l’été, les domaines castelthébaldais s’y relayent de 18h à 20h. « 2021 était la première année d’ouverture et le bilan était un peu mitigé. Ce n’est pas facile de créer un lieu bien visible, les gens ne s’y arrêtent pas forcément. Mais on y croit. La vente de vin ne se faisant qu’au verre, ce lieu va nous permettre de renvoyer les gens vers nos domaines », explique Marie Lieubeau.

Le porte-vue de Château-Thébaud est l’un des sites les plus visités du Voyage dans le Vignoble. Crédit : Emeline Boileau.

Structurer l’accueil à la cave
Le développement du Voyage dans le Vignoble ne s’est pas seulement concrétisé par des actions collectives. Des Côtes de Grandlieu aux Coteaux d’Ancenis en passant par le Sèvre et Maine, les domaines ont profité de ce coup de projecteur sur le vignoble pour créer ou réinventer leur offre oenotouristique. A La Chapelle-Heulin, le domaine Bonnet-Huteau vient ainsi de franchir le pas après avoir longtemps accueillis les clients en dégustation. « Nous avons de plus en plus de demandes et les dégustations au caveau prennent du temps. Parfois les clients restent 1h, 1h30 mais achètent peu. On voulait donc mettre en place une offre, plutôt gastronomique et pas compliquée. Je suis d’abord vigneron et je suis là pour parler de mon métier », partage Jean-Jacques Bonnet. Depuis début juillet, le domaine propose donc différentes formules, à la fois pour les particuliers et les professionnels. Cela va de la visite des vignes et du chai avec dégustation pour 10 €, à une « paulée », comprenant une visite commentée, une initiation aux arômes du vin et un repas accompagné de 4 cuvées du domaine pour 42€/personne.

Crédit : Emeline Boileau.

Surprendre pour conquérir
La famille Lieubeau accueille elle aussi depuis de nombreuses années les particuliers. Un accueil avec dégustation qu’elle a fait le choix de ne pas tarifer, à l’exception des visites de groupes. « Cela mobilise une personne supplémentaire avec parfois une dégustation en anglais », justifie Marie Lieubeau. Tout au long de l’année, le domaine organise également des événements autour de la gastronomie, au tarif unique de 20 €/personne. L’an passé, il a toutefois décidé d’innover et mettant en place un escape game dans ses vignes. « C’est une idée que l’on avait depuis quelques temps et avec la sortie du Covid, on voulait proposer quelque chose en plein air. L’escape game nous permet d’allier le jeu à du contenu que l’on pourrait apporter en dégustation. » Baptisé « Le secret de l’Aulnaye », ce jeu de piste se déroule sur 1h30, par équipe de 2 à 5 personnes, et se termine par une dégustation, le tout au prix de 15 € par personne. « Nous avons accueillis 150 personnes la première année et les retours sont très bons. Les gens sont surpris de trouver ce type d’activité dans un domaine. Ce sont souvent de nouveaux clients et quasiment tous repartent avec des bouteilles. » A La Limouzinière, le Vignoble Malidain s’est lui aussi lancé dans un jeu de piste cette année, « pour diversifier l’offre et capter un nouveau visitorat », précise Romain Malidain. « Un vignoble, une mission » se déroule là aussi en plein air, par équipe de 4 à 8 personnes avec un tarif à partir de 12 € par personne. « Ils sont en autonomie pendant 2 heures et le jeu a été conçu pour que nous n’ayons pas tout à remettre en place à la fin. On termine par une dégustation de 30 minutes de la cuvée dont il est question dans le jeu. Cela permet de parler du vin de manière ludique et pédagogique », souligne Justine Morisset, assistante marketing et export.
En parallèle du jeu de piste, le Vignoble Malidain organise des soirées au moulin, les vendredis de juin. Cette animation, réceptive, permet de faire découvrir les vins du domaine lors d’un moment convivial. Les clients viennent avec leurs grillades et peuvent consommer au verre ou à la bouteille au wine truck. Même esprit à Vallet où depuis l’été 2018 le domaine David et Duvallet installe une caravane dans les vignes. Les visiteurs peuvent ainsi profiter des barbecues à leur disposition tout en dégustant les vins du domaine.

Ce panneau fait partie du parcours de l’escape game « Le secret de l’Aulnaye » proposé par la famille Lieubeau. Crédit : Emeline Boileau.

Oenotourisme d’affaires
Souvent tourné vers la clientèle particulière, l’œnotourisme s’ouvre aussi aux entreprises. C’est notamment l’une des cibles du nouveau pôle oenotouristique du lycée de Briacé. « Nous avons plusieurs espaces pour répondre aux demandes des entreprises. Nous sommes par exemple en mesure de proposer une formule séminaire classique jusqu’à 30 personnes comprenant une journée de réunion entrecoupée de pauses café, d’une dégustation de 3 à 5 cuvées de Briacé et d’un déjeuner sur place. Nous avons aussi une formule « découverte du Vignoble de Nantes » avec accords mets/vins en partenariat avec le Palais Créatif. Les modalités et tarifs de ces prestations varient en fonction du budget de l’entreprise », détaille Alice Marty, en charge du pôle.
A La Chapelle-Heulin, la Cassemichère a fait de l’œnotourisme d’entreprise sa spécialité. Sur une année, le domaine réalise 110 réceptions dont 30 % de mariages et 50 % d’entreprises. « Cela va du séminaire de 10 personnes aux soirées cocktails dînatoires avec 200 personnes, en passant par des olympiades. On fait du clé en main et on s’adapte à la demande », indique Philippe Ganichaud. Avec la crise sanitaire, les demandes justement ont quelque peu changé. « J’ai de moins en moins de grosses prestations. On est plutôt sur des jauges de 15 à 30 personnes avec souvent une offre d’hébergement en chambres d’hôtes ». Sa clientèle est plutôt locale avec des sociétés de Loire-Atlantique ou de Vendée. « Je suis partenaire de plusieurs clubs sportifs ce qui m’a permis de me faire connaître. J’envoie aussi mes plaquettes aux entreprises nantaises pour leur faire comprendre que le vignoble n’est pas loin. » En plus du chiffre d’affaires généré par ces prestations, le Château peut compter sur la vente de vins. « Souvent les entreprises offrent des bouteilles en cadeau. Les gens achètent aussi pendant le séminaire avec un panier moyen autour de 15/20 €, et reviennent par la suite au domaine. » Mais derrière ce tableau idyllique se cache une réalité : celle du temps passé. « Il y a la prestation et tout ce qu’il y a en amont. Cela prend du temps mais je le fais parce que j’aime ça », témoigne Philippe Ganichaud.

Ne pas négliger le conseil et l’accompagnement
Dans cet objectif de diversification et de professionnalisation de l’offre oenotouristique, certains domaines ont fait le choix d’être accompagnés. C’est le cas notamment pour la mise en place des jeux de piste. « Nous avons travaillé avec la société Cobogo basée à Royan pour le scénario et le côté pédagogique. Cela nous a pris un an à mettre en place », révèle Justine Morisset du Vignoble Malidain. La famille Lieubeau a elle aussi été conseillée par une entreprise spécialisée. « On voulait que ce soit bien fait et professionnel. On a été accompagnés sur la partie conception, scénario, énigmes, mécanismes de jeu… Nous n’aurions pas pu le faire nous-mêmes. » Dans un autre registre, Jean-Jacques Bonnet a lui aussi pris conseil auprès d’une entreprise spécialisée. « On a travaillé avec Baptiste et le vin. Cela nous a permis de construire quelque chose de plus structuré, de prendre du recul et d’avoir de nouvelles idées. » Cet accompagnement a un coût mais il permet d’éviter les faux-pas et donc à terme de gagner en chiffres d’affaires.

Crédit : Emeline Boileau.

Un secteur en plein boom
Dégustation ou jeu de piste, soirée accords mets et vin ou randonnée dans les vignes, l’offre oenotouristique n’a jamais été aussi riche dans le vignoble de Nantes. L’intérêt est tel que des prestataires en ont également fait leur fond de commerce. Randovignes ou randocabanes avec Nantes Wine Tour, balades en segway avec Gyroway ou en trottinettes électriques avec Trottxway, virée dans les vignes avec les Millésimes de Sophie, etc., le secteur est en plein boom et toutes les occasions sont bonnes pour emmener les touristes dans les vignes ou tout du moins susciter leur intérêt pour le vignoble. La plupart des événements estivaux aussi associent désormais le vin à leur programmation. C’est le cas avec le festival aux Heures d’été à Nantes où les vignerons ambassadeurs animent le Muscadetruck ou encore à Guérande où les vignerons indépendants tiennent un village vignerons une journée en juillet. Si les touristes ne viennent pas aux Vins de Nantes, ce sont les Vins de Nantes qui viennent à eux et cette proximité profite aux appellations comme aux domaines. Et alors que la saison ne fait que commencer, on peut espérer qu’elle soit aussi réussie voire meilleure que 2019. L’effet millésime vaut aussi bien pour le vin que pour le tourisme.