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Installation : les nouveaux profils du Muscadet

La transmission des domaines est l’un des enjeux du vignoble de Nantes. D’ici 10 ans, un vigneron sur deux prendra sa retraite, avec ou sans projet de reprise. Pourtant les candidats à l’installation ne manquent pas en Muscadet mais leurs demandes ne sont pas toujours en adéquation avec l’offre, notamment pour ceux qui s’installent hors cadre familial. Pour en savoir plus sur leurs aspirations et leur exploitation idéale, nous sommes allés à la rencontre de cinq porteurs de projets, non issus du monde viticole et en quête d’un domaine à reprendre : Martin Joubert, Claire Pélissier, Émilien Rautureau, Anaïs Pénard et Rémy Pinson.

C’est un point de passage obligé pour tout candidat à l’installation. Animé par la chambre d’agriculture, le Point Accueil Installation de Loire-Atlantique reçoit tous les porteurs de projets agricoles et notamment viticoles. Depuis 2019, 170 personnes y ont été accueillies, dont 70 en viticulture. Un peu moins de la moitié ont concrétisé leur projet. « Nous enregistrons 30 installations sur les trois dernières années dans le vignoble de Nantes. La plupart des reprises se font dans le cadre familial, en moyenne sur 32 hectares. Pour les installations hors cadre familial, les surfaces sont un plus réduites, autour de 18 ha », explique Floriane Bejon, conseillère installation transmission à la chambre. Actuellement, une trentaine de personnes sont en recherche active d’un domaine à reprendre en Muscadet, seules ou en association. Selon les données recueillies par la chambre, elles ont en moyenne 36 ans et sont principalement en reconversion professionnelle. C’est le cas de Martin Joubert, 31 ans. Après un début de carrière dans la gestion des financements européens, il a rapidement bifurqué vers la viticulture. « Le travail de bureau ne me convenait pas et ma passion pour le vin s’est développée au fil des années. Fin 2019, j’ai décidé de quitter mon poste au CNRS pour débuter une formation viti-oeno avec une spécialisation en agriculture biologique et biodynamique. » Émilien Rautureau, 36 ans, a lui travaillé pendant 10 ans dans le bâtiment à Orléans avant de vouloir se rapprocher de sa Vendée d’origine. « J’ai entamé ma reconversion en 2018 avec un bilan de compétences qui a confirmé mon intérêt pour tout ce qui touche à l’écologie. J’ai effectué un BTS ACSE (Analyse, Conduite et Stratégie de l’Entreprise Agricole) à l’ESA d’Angers puis j’ai fait les vendanges à Vallet. Ça a été le coup de cœur ! » Sommeliers de formation, Anaïs Pénard et Rémy Pinson se sont rencontrés au restaurant de l’Hôtel Georges V à Paris. Elle est originaire la Sarthe, lui est franco-américain. Pendant le confinement, ils ont décidé d’approfondir leurs connaissances du vin mais surtout de se rapprocher du travail à la vigne. « Nous avons suivi un certificat de spécialisation culture biologique, en alternance dans un domaine de la Côte roannaise. Un an auparavant, nous avions effectué les vendanges en Muscadet et nous avions très envie de revenir dans le vignoble », explique Anaïs. Quant à Claire Pélissier, c’est l’envie de travailler en extérieur qui a incité cette ancienne infirmière de bloc à changer de métier. « J’aimais beaucoup ce que je faisais mais on ne m’a jamais laissé le temps de me former pour évoluer. J’ai donc fait un bilan de compétences qui m’a amené à la vigne. J’ai toujours trouvé que le vin était un produit noble bien que je ne sois pas une grande consommatrice. »

Martin Joubert, 31 ans, est salarié au domaine des Trois Toits à Vertou et prévoit de s’installer sur 4 à 6 hectares.

Un besoin d’approfondir leurs connaissances
Passionnés par la vigne et le vin, tous ont fait le choix de la formation pour développer leurs connaissances et avoir les bases pour se lancer. Néophyte du vin, Claire Pélissier suit actuellement un BPREA vigne et vin au lycée de Briacé. « J’ai hésité avec un parcours GEIQ (groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, ndlr) mais je ne me voyais pas rester salariée toute ma carrière. Je voulais avoir plusieurs cordes à mon arc et j’avais l’idée de m’installer d’ici quelques années. » Martin, Émilien, Anaïs et Rémy ont eux aussi suivi des formations spécialisées, et poursuivent aujourd’hui leur apprentissage comme salariés viticoles. Martin Joubert travaille ainsi depuis deux ans, trois jours par semaine, au domaine des Trois Toits à Vertou. « J’ai commencé en août 2020 en contrat d’apprentissage et je suis en CDI depuis mars 2021. J’ai tout de suite indiqué que je voulais à terme m’installer et Vincent et Cécile Barbier font beaucoup de choses pour m’accompagner. » Anaïs Pénard et Rémy Pinson sont eux salariés au domaine de l’Ecu au Landreau et envisagent de l’être pendant encore deux ans. « Aujourd’hui nous avons 95 % des compétences mais on aimerait, pendant ces deux ans, acquérir les 5 % qui nous manquent pour être autonomes dans notre installation », précise Rémy.

Claire Pélissier suit actuellement un Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole et a pour projet de s’installer en Coteaux d’Ancenis.

Le domaine idéal ? 10 ha maximum et en bio
S’installer sur des surfaces de 20, 30 ou 40 hectares ne fait pas ou plus rêver les porteurs de projet. « Les dossiers que nous suivons actuellement portent en moyenne sur 8 hectares et en bio », confirme Floriane Bejon, de la chambre d’agriculture. Martin Joubert vise lui les 4 à 6 hectares. « L’objectif est de tout faire tout seul sans être dans le jus. Je vais y aller progressivement. J’ai déjà repris 70 ares à Vertou et je devrais reprendre un peu plus d’un hectare à Haute-Goulaine en 2024. Je veux partir sur un projet où je ne prends pas de risque financièrement. » Anaïs Pénard et Rémy Pinson envisagent quant à eux une installation sur 10 ha en bio, tout comme Émilien Rautureau. Claire Pélissier est quant à elle moins catégorique sur les surfaces. « Mon projet serait de reprendre un domaine déjà existant donc tout dépendra s’il y a des salariés. Je veux en tout cas m’installer en Coteaux d’Ancenis et travailler en agriculture raisonnée. Je n’ai pas envie d’avoir un cahier des charges bio et la biodynamie ne résonne pas assez pour moi. »

En Muscadet et nulle part ailleurs !
Grands connaisseurs de vins, Anaïs et Rémy n’envisagent pas de s’installer ailleurs qu’en Muscadet. « À la fois par volonté et par déduction. Les autres vignobles ne sont, soient pas accessibles financièrement, soient trop sujets aux aléas climatiques. Et nous aimons beaucoup les vins de Loire. Nous avons aussi ce lien avec le domaine de l’Ecu et l’avantage en Muscadet est que l’on peut revendiquer l’appellation mais aussi faire du vin de France », explique Anaïs. Émilien Rautureau et Martin Joubert sont quant à eux très intéressés par les crus communaux. « J’aime la démarche, le côté valorisation », indique Martin. Il est aussi séduit par la Folle Blanche avec laquelle « on peut faire des choses très intéressantes. Ce sont des vins qui ont du peps et il y a de la demande pour ce type de produit. » Mais, car il y a un mais, ces futurs vignerons ne veulent pas non plus s’infliger les contraintes d’un cahier des charges. « J’aime l’idée de l’appellation », poursuit Martin, « mais les règles ne sont pas toujours adaptées aux pratiques des vignerons. » Leur soif de liberté passera donc aussi par des vins de France à partir des cépages identitaires du Muscadet.
Côté débouchés, aucun n’envisage de travailler avec le négoce. Vente directe, CHR, grande distribution hors centrales d’achat font partie des circuits de distribution envisagés. Sur l’export, les avis sont plus partagés. De part ses origines américaines, Rémy Pinson envisage de développer la commercialisation à l’international tandis que pour Martin Joubert, « le fait de mettre du vin dans un avion ou un bateau pour l’envoyer à l’autre bout du monde manque de cohérence. Je fais attention à l’empreinte carbone même si je comprends qu’on le fasse pour des questions économiques. Il y a un équilibre à trouver entre ce que l’on veut au fond de nous-même et la réalité économique. »

Anaïs Pénard et Rémy Pinson sont salariés au domaine de l’Ecu au Landreau et cherchent à reprendre un domaine d’une dizaine d’hectares en Muscadet.

Une difficile adéquation entre l’offre et la demande
Malgré leurs projets bien définis, les porteurs de projets sont confrontés à la réalité du marché et à une offre éloignée de leurs idéaux. « J’ai été voir les annonces sur le site du RDI (Répertoire Départ Installation, ndlr), mais les annonces sont les mêmes depuis plus d’un an et il y en a peu alors que l’on nous dit que beaucoup de vignerons vont partir à la retraite », témoigne Émilien Rautureau. Pour Rémy Pinson, la taille des domaines à transmettre est aussi une problématique. « L’offre porte sur de grandes surfaces, avec du bâtiment, des salariés. Peut-être que la solution serait de diviser les surfaces entre plusieurs porteurs de projets et de mutualiser les installations. » Se pose aussi la problématique du lieu d’habitation qui jouxte l’exploitation et que les cédants ne souhaitent pas vendre, ainsi que celle du manque de chais disponibles, véritable frein à l’installation. « On a pas de problème pour trouver des vignes mais c’est plus compliqué pour les bâtiments », confirme Émilien. « Soit la cuverie est entièrement souterraine, soit sur-dimensionnée ou au fin fond d’un village. Soit le vigneron espère que ça passe constructible pour vendre à un meilleur prix. » Martin Joubert a lui eu « un coup de bol », pour trouver un chai à Haute-Goulaine. « J’avais commencé à prospecter et un copain m’a parlé de ce chai. Il y a des cuves enterrées, des cuves aériennes, des tonneaux et tout ce qu’il faut pour travailler. » En attendant, il bénéficie des installations de son employeur pour sa première vinification. « La mutualisation des installations est une vraie solution d’avenir, y compris pour le matériel. Il coûte cher pour un taux d’utilisation assez faible quand on est une petite structure. » Au-delà de la mutualisation, certains porteurs de projets recherchent aussi l’association. « Je ne veux pas m’installer toute seule », explique Claire Pélissier. « J’ai besoin de partager. Quand on mutualise, on est plus efficace et j’ai du mal à croire que l’on peut être partout à la fois. » Émilien Rautureau n’exclut pas non plus l’option association. « J’en ai discuté avec un autre porteur de projet. Cela m’intéresse mais c’est compliqué de s’associer quand on ne se connaît pas. Mais oui, si je peux travailler avec quelqu’un, ça m’intéresse. La plupart des vignerons que j’ai rencontré m’ont d’ailleurs dit qu’ils auraient aimé être avec quelqu’un. »

Emilien Rautureau est salarié chez Stéphane Orieux à Vallet et envisage une installation sur 10 ha en bio.

Entretenir le réseau
Depuis son arrivée en Muscadet il y a deux ans, Émilien a multiplié les contacts en vue de son installation. « J’ai été voir une quinzaine de vignerons, j’ai envoyé des mails, j’ai gratté même si au début je n’étais pas encore prêt à m’installer. J’ai eu des discussions plus avancées avec un vigneron mais ça n’a pas abouti. » Aujourd’hui, une reprise se profile même si le jeune homme préfère rester prudent. Anaïs Pénard et Rémy Pinson se donnent quant à eux le temps de concrétiser leur projet. « L’année dernière nous avions des contacts pour une reprise mais les propriétaires nous ont demandé de nous positionner rapidement et nous avons refusé », explique Anaïs. « Il y a un cheminement qui devait se faire. Nous n’étions pas prêts pour cette exploitation et pas prêts tout court ! On continue d’apprendre et on sait que l’on peut aussi retourner dans notre ancien métier si besoin. » Martin Joubert a lui effectué ses premières vendanges sur ses 70 ares en 2022 et a mis en bouteilles sa première cuvée début février. Dans un premier temps, il prévoit de cumuler son activité de vigneron avec celle de salarié au Trois Toits ainsi que chez un caviste nantais. Quant à Claire Pélissier, elle poursuit son BPREA jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023. Elle cherchera ensuite un poste de salariée, idéalement chez un futur cédant.
Pour tous, outre le développement de leurs connaissances et de leurs compétences, la priorité est d’échanger avec de futurs cédants. Pour faciliter la connexion, une première rencontre a été organisée par la chambre en novembre dernier à Mouzillon. Un farm-dating entre cédants et porteurs de projet est également envisagé fin 2023. D’ici là, une rencontre des porteurs de projets est prévue le 9 mars à l’antenne de la chambre à Clisson. L’occasion pour eux de partager leurs problématiques et pourquoi pas susciter de futures associations vigneronnes.