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Crus communaux, les pépites du Muscadet

Troisième et dernier volet de notre dossier sur la hiérarchie du Muscadet. Positionnés en haut de la pyramide, les crus communaux ou Dénominations Géographiques Complémentaires (DGC), représentent le 3e niveau de la segmentation après l’AOC Muscadet et les Muscadets sous-régionaux. Clisson, Gorges et Le Pallet sont les trois premiers membres de cette famille, bientôt rejoints par Goulaine, Château-Thébaud, Mouzillon-Tillières et Monnières-Saint-Fiacre. La concrétisation d’un travail de vignerons entamé il y a plus de 30 ans.

Elle n’a pas de valeur officielle mais c’est l’une des premières « archives » des crus communaux du Muscadet. Réalisée par le BRGM, le Bureau de recherches géologiques et minières de Nantes, la première carte des terroirs du vignoble de Nantes marque les prémices de la démarche à la fin des années 80. A La Haye-Fouassière, Jo Landron dispose encore d’un exemplaire plastifié, conservé précieusement avec le dossier du cru « La Haye-Fouassière ». « A l’époque, il y avait une volonté et un besoin de valorisation, surtout exprimé par les vendeurs directs. Avec les vignerons de Saint-Fiacre, Château-Thébaud, Vertou et La Haye-Fouassière, nous avons alors engagé une réflexion sur les terroirs puis lancé cette étude avec le BRGM en 1987. » L’année suivante, une commission terroir est mise en place au niveau du syndicat d’appellations puis une rencontre est organisée avec l’INRA d’Angers, déjà engagée dans une démarche similaire dans le saumurois. « Mais l’étude proposée par l’INRA était coûteuse et les préoccupations générales différentes. Le projet s’est endormi » relate Jo Landron.

Jo Landron dispose encore de la première carte des terroirs du vignoble de Nantes réalisée par le BRGM en 1987.

Le syndicat n’abandonne toutefois pas l’idée de hiérarchiser les Muscadets. Une nouvelle commission planche sur le sujet en 1991 et aboutit à un schéma pyramidal à 4 niveaux : le Muscadet, les sous-régionales, 1er cru et Grand cru. Des essais terroirs sur des parcelles sélectionnées en Sèvre et Maine, Coteaux de la Loire et Côtes de Grandlieu sont menés dès 1994, des stations météos installées. Des journées de sensibilisation des vignerons sur le terrain, suivies de dégustations sont également organisées, avec l’appui de l’INAO. « Le vignoble commençait à subir la crise après le gel de 1991. Pour l’INAO, il fallait alors soutenir la démarche des vignerons pour sortir de cette crise et nous avons mis des moyens pour accompagner cette réflexion » explique Jean-Baptiste Moulènes, ingénieur territorial à l’INAO de Nantes. A la fin des années 90, le SDAOC Muscadet créé une commission « hiérarchisation » et travaille sur les critères de sélection du 3e niveau. Un ingénieur est également recruté pour prendre en charge ce dossier.

Jean-Baptiste Moulènes, ingénieur à l’INAO, a travaillé sur les crus communaux dès 1994.

Une somme d’individus au service d’un collectif
Unis autour de la volonté de valoriser les terroirs, les vignerons se fédèrent. Naissent alors les premières associations de crus, à commencer par celle de Gorges en 1998, puis Clisson, Le Pallet mais aussi Roches de Loire pour Champtoceaux. La plupart sont créées entre 2003 et 2007. Les vignerons de La Haye-Fouassière, pourtant précurseurs de la démarche dans les années 80, ne se constituent en association qu’en mai 2011. « Nous étions auparavant engagés sur des démarches identitaires avec une valorisation de nos cuvées de lieux-dits. La reconnaissance des crus Clisson, Gorges et Le Pallet en 2011 a contribué à relancer la démarche sur notre secteur de Vertou – La Haye Fouassière » indique Jo Landron.
Composées de 10 à 20 exploitations, ces associations de crus permettent aux vignerons de se retrouver régulièrement pour déguster leurs vins, échanger sur leurs pratiques, leurs évolutions, pour promouvoir aussi le fruit de leur travail. Tous font partie du même comité de pilotage, aujourd’hui placé sous la responsabilité de Thierry Martin, vigneron à Gorges. Si chaque cru a en effet ses propres caractéristiques, tous partagent un même cahier des charges : un élevage sur lies long, de 18 à 24 mois minimum selon les crus, des rendements limités à 45 hl/ha ou encore la pratique du désherbage mécanique dans l’inter-rang. Les parcelles de crus font quant à elles l’objet d’une procédure d’identification auprès de l’INAO. Elles sont sélectionnées avec le plus grand soin par les producteurs, notamment en fonction de leurs qualités agronomiques.

C’est la roche, ici le gabbro, qui caractérise un cru communal.

Granite, schistes, micaschistes, amphibolite, orthogneiss, gneiss, c’est la roche qui détermine les caractéristiques de chaque cru et donc sa typicité. « On note des différences significatives entre des vins produits à seulement quelques kilomètres d’écart. C’est le cas par exemple entre les crus Gorges et Clisson » précise Romain Mayet, ingénieur à La Fédération des Vins de Nantes en charge des crus. « Clisson est sur du granite, une roche siliceuse. Elle forme un sol assez pauvre, rude, filtrant, drainant qui conduit à une maturité des vignes plutôt tardive. C’est un sol qui donne les plus gros degrés du vignoble mais qui permet de conserver une acidité raisonnable. Cela donne des vins relativement puissants en termes d’intensité alcoolique, qui ont besoin d’un peu de temps pour s’ouvrir. Ce ne sont pas les vins les plus primeurs. » Présent sur Clisson, Maisdon-sur-Sèvre, le sud de Château-Thébaud, le granite est souvent opposé au gabbro du secteur de Gorges. « C’est une roche riche en magnésium, pauvre en potassium et en silice et qui à tendance à s’altérer. Cela donne des vins qui ont moins de potentiel alcoolique mais plus d’acidité, un côté plus cristallin, tendu, plus nerveux. Ce sont des vins qui nécessitent du temps mais qui ont un très beau potentiel de garde. » Riche de sa diversité de terroirs, le vignoble de Nantes permet aux vignerons de proposer une gamme de vins haut de gamme et d’affirmer la segmentation à trois niveaux du Muscadet.

Bientôt 7 puis 10 crus communaux dans le Muscadet
Construite en parallèle des délimitations des aires de production des appellations, la hiérarchie du Muscadet à trois niveaux est entérinée par l’INAO en 2006. Le processus de reconnaissance des appellations communales est lancé l’année suivante et les critères fondamentaux sont fixés : sélection parcellaire, année d’entrée en production des jeunes vignes, conduite de la vigne et maîtrise des rendements, maturité de la récolte, durée d’élevage sur lie et vinification. En 2011, arrive enfin la reconnaissance des trois premières Dénominations Géographiques Complémentaires : Clisson, Gorges et Le Pallet. « Ce qui a pris du temps, c’est de fédérer les vignerons autour d’une démarche, d’un terroir, d’un produit » explique Thierry Martin. « Aujourd’hui, la motivation des producteurs fait que les dossiers avancent plus vite. Mais ce long parcours est aussi lié à l’administration, et notamment à la réforme de l’INAO qui a retardé certains dossiers. » Huit ans après Gorges, Clisson et Le Pallet, quatre autres nouvelles Dénominations Géographiques Complémentaires sont en effet sur le point d’être reconnues : Monnières-Saint-Fiacre, Château-Thébaud, Mouzillon-Tillières et Goulaine. « Les dossiers sont prêts depuis longtemps mais ils sont aussi liés à la réforme du cahier des charges du Muscadet » ajoute Thierry Martin. Celui-ci fait actuellement l’objet d’une Procédure Nationale d’Opposition jusqu’à mi-février, dernière étape avant l’officialisation des nouvelles DGC.

Ensuite ? D’autres dossiers sont en attente. Vallet, Champtoceaux et La Haye-Fouassière sont également lancés dans la démarche, prochainement rejoints par les vignerons de Grandlieu qui travaillent également sur un cru communal. « Les crus amènent aujourd’hui une plus-value au vignoble même si les volumes sont encore marginaux. Il y a un engouement des vignerons. Le Sèvre et Maine notamment est bien maillé par les différents crus et certains domaines sont engagés dans plusieurs démarches » constate Thierry Martin. Les parcelles classées en cru attirent, notamment les jeunes en cours d’installation. « Ils peuvent accéder à des potentiels viticoles abordables et qu’ils peuvent valoriser » observe le vigneron Jo Landron. « Les jeunes ne recherchent pas forcément de grosses structures avec une valorisation par le volume mais de plus petites surfaces, souvent certifiées, dans un objectif de valorisation. Ils vont chercher l’effet de gamme. » Un effet de gamme avec une cohérence de prix. Quand un Muscadet sur lie se vend entre 5 et 7 €, un cru communal s’achète rarement en dessous de 10 €. Vin de gastronomie par excellence, vinifié pendant de longs mois, sa complexité et ses arômes séduisent les restaurateurs, en Loire-Atlantique et ailleurs, mais aussi les cavistes et la grande distribution.

« Le Muscadet a un train d’avance »
Au Super-U de Vertou, les Muscadets sont en bonne place dans les linéaires. « Nous sommes l’un des magasins de l’enseigne qui représente le mieux le Muscadet » précise Damien Chiffoleau, responsable « liquide » du supermarché. « Nous proposons notamment 5 références de crus : Monnières Saint-Fiacre, Le Pallet, Gorges, Château-Thébaud et Clisson, vendus entre 9,90 et 11 €. Nous ne négocions pas sur ce type de produits. Ce sont des vins travaillés, on estime que nous n’avons pas à faire de marge là-dessus. » Référencé auprès de la centrale d’achat U, le vigneron gorgeois Thierry Martin confirme n’avoir jamais été confronté à des négociations sur le prix de son cru Clisson. « Je travaille avec la grande distribution sur le Muscadet et ils ont été demandeurs de crus. Il n’y a eu aucune négociation, j’ai même proposé une augmentation de prix qui a été acceptée. »

Les crus du Muscadet sont en bonne place dans les linéaires des grandes surfaces du vignoble de Nantes, comme ici au Super-U de Vertou.

Chez les cavistes, les crus du Muscadet sont généralement vendus entre 10 et 18 €. C’est le cas à la Cave de l’Inattendu à Vertou qui propose l’ensemble des crus à sa clientèle. « Nous sommes des ambassadeurs des Vins de Nantes » affirme Olivier Hodebert, son responsable. « Nous avons un vignoble qui offre une grande diversité de vins de gastronomie et qui offre le meilleur rapport qualité/minéralité. Les crus plaisent aux clients. Ils sont de plus en plus nombreux à venir à la cave pour acheter un cru du Muscadet, et ce grâce au travail de mise en valeur réalisé par les vignerons.» Le caviste en est même convaincu : « Le Muscadet a un train d’avance par rapport à d’autres vignobles. Il offre des produits très bons, accessibles. C’est aussi un vin qui peut toucher toutes les générations et le passage de relais entre les anciens et les jeunes vignerons va dans le bon sens. Ils valorisent la terre et le travail bien fait. » Et il n’y a pas qu’en France que les crus communaux séduisent. Les marchés à l’export sont de plus en plus demandeurs. Selon les données fournies par Interloire, les volumes exportés des crus Clisson, Gorges et Le Pallet ont progressé de 40 % entre 2015 et 2017, passant de 94 à 159 hectolitres, dont près de la moitié à destination des États-Unis.

La « muscadethèque » d’Olivier Hodebert compte plusieurs références de crus communaux.

La segmentation à trois niveaux du Muscadet et la démarche de premiumisation engagée depuis plusieurs années par les vignerons avec les crus communaux témoignent de la structuration des Vins de Nantes. Pour Olivier Martin, président délégué à la communication à la Fédération des Vins de Nantes, « le métier de vigneron se portera demain sur ces segments qui permettent de dégager suffisamment de valeur ajoutée pour couvrir les charges de production qui ont tendance à augmenter au regard des enjeux environnementaux. Ce sont aussi ces segments qui permettent de révéler la qualité et la diversité de nos vins. Ils symbolisent le renouveau d’une appellation. » Un renouveau qui n’est désormais plus à prouver pour le Muscadet.